Dans les récentes années, on a vu le verre de vin comme le shooter être célébré en ondes, que ce soit dans les défuntes Recettes pompettes ou cérémonieusement servi aux invités de Tout le monde en parle.
Dans les téléréalités, l’alcool sert parfois de lubrifiant à des émois débridés qui seront filmés et créeront du contenu de saison: on peut penser à de nombreuses déclinaisons des Real Housewives, ou toute itération de péninsule de l’amour et de la séduction en 4K.
Dans les émissions de fiction, l’alcool est là aussi, et pas par accident.
Quand on scénarise une coupe de vin, une pinte de bière, quand on écrit un verre dans la main d’un personnage, on pourrait s’attendre à ce que ça fasse partie intégrante de l’histoire, que ce ne soit pas là que par hasard.
Autrement, on en vient à remarquer en tant que téléspectateurs: «Coudonc, ça boit donc ben dans ce show-là!». Comment se fait-il que ce soit omniprésent, mais jamais vraiment ouvertement discuté?
Ma sorcière bien arrosée…
J’ai recensé quelques personnages centraux de séries connues, où les personnages féminins sont souvent vus avec un verre, ou encore où leur penchant pour l’alcool est souligné.
Rappelons que, même si dans les catégories d’âge plus jeunes, l’alcool semble être présentement en baisse, l’endroit où la consommation augmente, c’est dans la catégorie des femmes de 50 ans et plus. Au Québec, la consommation abusive chez les femmes serait montée de 10 % à 21 % de 2020 à 2021.
On voit, on boit
Ce qu’on voit à l’écran devient souvent coutume. Avant que l’annonce «Ce film comporte des scènes montrant l’usage de tabac» apparaisse sur nos écrans, il y a eu des milliers de personnes qui ont voulu fumer une roulée pas de filtre à la James Dean, ou poser la clope au bec en attendant sa douce moitié comme dans Casablanca…
Est-ce que le boire coutumier devrait être sinon policé, intégré comme un trait déterminant d’un personnage pour aborder l’idée de la dépendance?
Claire Dunphy – Modern Family (2009-2020)
Au début de la série, Claire (Julie Bowen) est une épouse à la maison, mère de trois préados et d’un mari immature qui, entre les brassées de linge et les lunchs à préparer, affiche assez rapidement son penchant pour le vin blanc.
La routine alcoolisée de Claire, débordée, personnage type de la femme aux prises avec la charge mentale d’une maisonnée, est érigée en blague, comme quoi elle entame et finit ses bouteilles de vin toute seule, et que pour elle il n’est jamais trop tôt pour commencer. Montré à la blague, toujours.
Au fil des saisons, Claire réintègre le marché du travail, garde ses habitudes de buveuse, revient du bureau et, avant de s’adresser à son mari, cherche fébrilement dans le frigo pour se servir une coupe avant toute chose.
Un trait de caractère cocasse, sans plus, et l’épisode se poursuit. Pourtant, c’est un trait qui devient déterminant pour le personnage de Claire, et même dans l’angle d’une comédie, il serait possible sinon intéressant d’ouvrir cette brèche taboue de cette femme qui boit… trop?
Linda Belcher – Bob’s Burgers (2011-2025)
Série animée incroyablement populaire chez les jeunes adultes, elle met en scène une famille de restaurateurs loufoques et est aujourd’hui l’équivalent dans le cœur des fans de ce que les Simpsons étaient au courant des années 1990-2000.
Linda, la matriarche, est présentée comme une joviale, d’humeur légère et toujours prête à défendre farouchement ses enfants de quelque mal. Son autre penchant est le vin, dont elle chante les mérites d’un épisode à l’autre.
«Will there be wine?», qu’elle demande avant de se rendre à un événement. Et une coupe de rouge est plus souvent qu’autrement dessinée dans sa main festive.
Même si l’univers du dessin animé transcende les lois humaines, on le comprendra, l’émission aborde dans ses plus récentes saisons des thèmes assez lourds comme le deuil, le divorce, les ruptures d’amitié fraternelle et la mort. Si dans Modern Family, Claire ne subit les conséquences de sa consommation qu’avec quelques gueules de bois pas trop marquantes, la consommation de Linda n’a jusqu’ici pas fait état d’un épisode.
On ne va jamais plus loin, mais en même temps on n’arrête pas non plus de l’inclure, ce permanent verre d’alcool.
Michelle Simms – Bunheads (2012)
Michelle (Sutton Foster) est une ancienne ballerine devenue showgirl de cabaret à Las Vegas qui, après une soirée arrosée, se réveillera mariée à un de ses fans, pour ensuite devenir veuve en moins de 24 heures.
Le temps que Michelle débrosse, elle songera à rester dans la petite ville de son défunt époux en Californie, où elle devient malencontreusement propriétaire d’un studio de ballet.
À chaque épisode, elle enfile les shots de fort sans grimacer, ou boit jusqu’au blackout en faisant de surcroît boire son entourage, ou décapsule des bières à la chaîne ou raconte avoir vomi d’un trop-plein en lendemain de veille. La scène suivante, elle enchaîne les trilles, pas chassés et pas de bourrée, droite comme une barre, comme si de rien n’était. Pouvoir magique ou lacune scénaristique?
Pour avoir été sur la brosse dans plusieurs de mes jobs du passé, arriver soûle ou lendemain de veille n’a rien de banal.
Dans la réalité, boire à en tomber dans les vapes est symptomatique de quelque chose de plus grave en dessous qu’on n’aborde pas, qui affectera notre santé ou inquiètera notre entourage immédiat. Alors, pourquoi cela ne se traduit pas dans nos écrans?
Au Québec
Le Québec se démarque par une audace rafraîchissante dans ses séries. Peut-être est-ce d’être plus ouverts sur le discours de la consommation, d’être moins prisonniers de l’image que nos voisins du Sud? Toutefois, il est à constater que dans des œuvres des récentes années, on n’a plus peur d’attaquer de front ce tabou de la consommation, de son origine à ses conséquences.
Ada, Fabiola et Carolanne – M’entends-tu? (2018-2021)

Trois amies issues d’un milieu défavorisé évoluent dans les turbulences et difficultés, incluant drogues et alcool. La dureté de leur réalité qui n’est pas esquivée est certainement l’une des multiples raisons pourquoi la série a ravi le cœur des Québécois dès sa sortie.
Corinne Bougie – Veille sur moi (2024)

Dans ce drame social qui faire vivre la complexité des relations familiales avec la protection des droits de l’enfant, on suit une jeune mère au passé pas tout à fait réglé (Pascale Renaud-Hébert), en route vers le rétablissement, mais qui n’est pas à l’abri de rechutes et des tourments de la consommation. Selon les critiques, cette série chavire et empoigne, est d’une vérité qui dérange et qui ne laisse pas indemne.
Pour nos écrans, on ne s’en souhaiterait que davantage!
Car après tout, les histoires qu’on choisit de suivre, n’ont-elles pas le pouvoir de nous faire réfléchir à notre propre condition en plus de nous divertir? Ou refléter des parties de nous-même qui attendent encore de se révéler?
Et vous, avez-vous été marquée par une série où l’un des personnages boit constamment sans que personne ne le relève?
Séries à voir où on parle de consommation
– Single Drunk Female (2022-2023)
– Fleabag (2016-2019)
– Big Mood (2024)
Mon livre S’aimer ben paquetée parle de mon cheminement de l’alcoolisme à la sobriété est est disponible en ligne et en librairie, version papier et numérique.
Mon blogue contient plus de 100 articles sur la consommation et le rétablissement.
À l’aube des last calls
Pour entendre mes récits personnels de l’alcoolisme au rétablissement, je vous convie à la Factrie 701 de Shawinigan le 29 mai à 17h. Une chronologie d’histoires sans censure vers et hors les bars, de la perspective d’une fille qui en a bu d’autres, et qui fièrement a arrêté!
D’autres dates en province seront dévoilées sous peu, voir ici.