J’ai arrêté de boire le 7 mars 2020. J’avais commencé pas loin de vingt ans auparavant, encore adolescente, en traînant proche de moi dans un party de sous-sol la caisse de Labatt Bleue que j’avais réussi à me faire sortir du dépanneur. Pour donner idée de mon âge, c’était Hit ‘Em Up Style, de Blu Cantrell, la toune de l’heure à ce moment-là. On dit que les dépendants savent rapidement quelle substance ils préfèrent et qui sera dangereuse pour eux; moi, la boisson, dès mes premières brosses, j’ai su qu’on allait s’aimer longtemps.
L’alcoolisme est vu comme multifactoriel, d’autres s’entendent pour dire que c’est héréditaire, comme une fatalité à laquelle nos chromosomes ne pourront échapper si nés tels quels, certains, que c’est dû à l’environnement, ou encore que c’est une réponse à un ou des traumas vécus du passé. La personne dépendante vous déclarera probablement si vous lui posez la question «un peu de toute ça, et t’aurais pas 20 piasses à m’passer jusqu’à jeudi?» J’étais cette personne-là.
Ma dernière brosse ne fut ni spectaculaire, ni mémorable, ni plus médiocre ou appauvrissante que les autres. Je me souviens par contre, la veille de ma décision de devenir sobre, de cette longue marche au sortir du bar après le cinquième last-call, le nez croûté de poudre, l’haleine de bile et de bière mélangée, le bourdonnement de caisses de son dans mes oreilles, un coupe-vent trop mince dans la nuit trop crue d’un début de mars en Mauricie, et un épuisement douloureux d’une vie que je n’étais plus capable de vivre.
L’alcool était devenu mon identité. Si vous me voyiez, j’étais au minimum pompette, au maximum déchirée. Peu importe l’heure de la journée. Début trentaine, la jeune fille aux idées vives que j’étais avant ça, elle se diluait dangereusement pour devenir une femme affaiblie, ralentie, complètement dévouée à la bouteille. Je buvais en cachette, je buvais en public. Je connaissais tous les bars alentour et dépanneurs pas loin, j’étais avide de trouver ma source, peu importe où la vie allait me trimballer dans ses turbulences. C’est pas vrai que j’allais les vivre à frette: j’en n’ai pas la force, pensais-je.
Aimer la vie à jeun
Mais y a quelque chose qui change, quand on prend cette décision d’arrêter. Pas immédiatement, bien sûr, le sevrage des premiers jours n’a rien à voir avec le vrai feeling que c’est, quand on «dégèle» pour la première fois de sa vie. Je ne pensais jamais aimer la vie en la vivant à jeun. Pour moi, chanceuse (ou pas), ça s’est passé pendant le premier confinement de la pandémie. Je me disais que les bars n’étaient pas fermés que pour moi, ils l’étaient pour la province au complet! Je voyais pour la première fois d’un œil différent ces files de monde à la porte de la SAQ qui ressortaient avec des caisses de bouteilles, nerveux. Pour une fois, je n’étais plus dans cette gang-là.
Et j’ai aimé l’ivresse. C’était l’échappement total. J’ai aimé et recherché cette chaleur enveloppante, ce pop du liège de la première bouteille de vin, j’ai aimé quand mes sens me quittaient un à un, me laissaient engourdie, molle, jusqu’à ce que je ne ressente plus la douleur. La douleur d’une vie qu’on n’aime pas.
Aussi épeurant que ça puisse sembler, être à jeun donne envie de faire le ménage dans notre vie, de fond en comble. Mais, aussi rassurant que ça puisse l’être, je garantis que ça en donne l’énergie. Comme un épais brouillard qui se dissipe enfin. La sobriété change, pour le mieux.
Pour beaucoup, ce sera les rencontres en communautés de personnes sobres, il y en a de plus en plus, des anonymes ou autres. Pour d’autres, ce sera de se joindre à des communautés en ligne. L’application gratuite I Am Sober m’a beaucoup aidée à journaliser ma sobriété, surtout les premiers temps. Pour moi, ça a été d’écrire. De me remettre au clavier, dont je m’étais éloignée, atrophiée moi-même par des gallons de gin et de lendemains de brosse éternels. De cette écriture est né mon blogue, puis de mon blogue, avec le temps, un monologue théâtral, puis un livre, S’aimer ben paquetée, où j’ai pu, de façon très cathartique, exprimer mon cheminement de l’alcoolisme à la sobriété.
Un parcours qui ne cesse de me surprendre dans les beaux échos et élans que la vie, maintenant, semble vouloir m’amener. Un changement de direction du vent, de «dans face» à dans le dos, peut-être. Mais je sais certainement que la force que je prenais pour me détruire, je peux maintenant la mettre devant oi, et ça, je n’y serais jamais arrivée en tourbillonnant perpétuellement, des inoffensifs 5 à 7 aux nuits blanches d’angoisse et de dormance.
J’arrive aujourd’hui à quatre ans de sobriété. Si vous songez à arrêter de consommer, ou si vous avez simplement une curiosité de cette vie de l’autre côté du verre, je vous encourage à consulter ces ressources. Et aussi, mon blogue.
Dans mon prochain billet, je vous donnerai des trucs et conseils pour les sorties sans alcool. Se réveiller le lendemain sans mal de tête, ça n’a pas de prix!