– Votre fils est autiste. En fait, il est Asperger. Mais on n’utilise plus ce mot, puisque maintenant ça fait partie des troubles du spectre de l’autisme.
Décembre 2022. Bang. Une tonne de briques vient de me tomber dessus. Même si je me doutais bien du résultat des tests, quand on te l’annonce, c’est comme un coup de poing en plein ventre. Après des mois de questionnement sur le développement atypique de notre fils, chéri et moi sommes dans le bureau d’une neuropsychologue qui a rencontré et évalué l’enfant.
– Ne vous inquiétez pas trop. Il est niveau 1 sur 3. C’est léger, dit-elle d’un ton optimiste.
– Ok, mais on fait quoi?
– Il aura une vie probablement très normale, si vous l’outillez tout de suite. Faudra l’aider dans les prochaines années.
– Ok, mais comment?
– Je vais vous envoyer le rapport final de l’évaluation. Vous pourrez le lire pour voir les forces de votre enfant et les domaines où il y a du travail à faire. Il faudra ensuite communiquer avec votre CLSC.
Fin de la rencontre. Un résultat, un rapport d’évaluation, la remise du paiement pour les services rendus, une tape sur l’épaule avec un «bonne chance» et c’était terminé.
En retournant vers la maison, mon cerveau ne cesse de répéter «mais on fait quoi à partir de là?». Mon enfant de six ans, mon bébé, le petit garçon que je dois protéger, a besoin d’aide et je ne sais pas quoi faire.
Un monde inconnu
Je suis soulagée d’avoir enfin mis le doigt sur le bobo. D’avoir une réponse à bien des questions. Mais j’ai surtout l’impression d’avoir ouvert une porte sur un monde qui m’est totalement inconnu. J’ai donc googlé et je suis tombée dans une spirale sans fin. Diètes miracles, recommandations pour voir un spécialiste plus qu’un autre, témoignages, vitamines, arnaques, charlatans, j’ai passé des heures à lire sur l’autisme sans jamais y reconnaître mon fils. Le spectre est si large que bien qu’il y ait des similitudes entre certains cas, il n’existe pas deux autistes pareils.
Ce sera ergothérapie, orthophonie et psychologue chaque semaine pour lui donner toutes les chances pour plus tard. Au CLSC, c’est deux ans et demi d’attente avant de rencontrer quelqu’un et d’avoir un suivi. Au privé, il y a quand même des mois d’attente et un portefeuille à ouvrir largement!
Mon fils, c’est celui qui hurle sans raison, n’importe quand, n’importe où. Qui chante à tue-tête la même phrase sans arrêt dans les allées d’épicerie, qui se roule parfois par terre, qui va aller toucher le manteau d’une dame parce que la couleur l’a attiré. Il peut avoir l’air mal élevé pour les gens autour. Je le vois dans les regards de biais, les expressions dans les visages, qu’il dérange. J’ai seulement envie dans ces moments d’expliquer pourquoi il est ainsi. On est tellement plus patient et compréhensif envers un enfant ayant un diagnostic quelconque qu’envers un qui n’en a pas, non?
Pourtant, même en connaissant son diagnostic, ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise avec lui. Je le vois clairement chez des membres de notre famille et avec des amis. Certains le trouvent trop intense, d’autres n’arrivent pas à connecter avec lui. Ça me déchire le cœur, mais je le comprends et je sais que ça fait partie des deuils à faire quand on a un enfant différent.
En même temps, 18 mois plus tard, j’apprends encore comment son monde fonctionne. Pour pouvoir le rejoindre. Pour pouvoir mieux le comprendre. Pour savoir qu’il se désorganise complètement quand il y a trop de bruit autour de lui, que ce n’est pas juste une «crise de bacon». Pour comprendre que ce n’est pas parce qu’il est difficile à table qu’il n’accepte de manger que des croquettes de poulet et des dumplings, mais parce qu’il a des rigidités alimentaires. Que son monde ne tourne qu’autour de Godzilla et King Kong en ce moment. On regarde de vieux films de Godzilla en noir et blanc, en japonais sous-titré en anglais, parce que c’est la seule chose qui l’intéresse, c’est le seul sujet de conversation qu’il a à la maison, à l’école et avec la caissière de l’épicerie! Que bientôt King Kong prendra le bord et ce sera un autre sujet qui passionnera mon enfant et qu’il en connaîtra tous les détails par cœur.
Mon fils est différent. Comme moi. Comme toi. Comme nous sommes tous différents. Il sera probablement toujours en marge du moule que la société a déterminé, mais son monde vaut autant que celui de n’importe qui d’autre. C’est pourquoi je le laisse être lui. Parce qu’il est différent. Comme toi.