Le 5 mars 2018, la Terre arrêtait de tourner pour Anick Lemay alors qu’elle apprenait qu’elle avait non seulement pas un, mais trois cancers du sein. Trois petits crabes avaient élu domicile dans le corps de la comédienne, qui était foudroyée par la nouvelle. Redoutant la maladie et de se faire engloutir par le gouffre abyssal qui prenait maintenant place sous ses pieds, Anick était aussi certaine d’une chose: elle ne pourrait pas vivre ce nouveau cauchemar en privé… À coup de textes et de témoignages vrais, parfois tranchants, souvent poignants, Anick a raconté la maladie et sa guérison à sa façon, en nous frappant droit au coeur.
Comme dirait David Gaudreault, «Anick a niqué la bête» et elle a retrouvé la lumière!
Près d’une année après le choc, l’actrice adorée du public nous revient avec Le gouffre lumineux: Les carnets d’Anick, un recueil agrémenté de réflexions, d’histoires inédites et de photos.
Anick, il y a un an tu décidais de te confier sur les crabes qui avaient pris possession de ton corps sur un média que tu aimes beaucoup, Urbania, qui aujourd’hui lance son tout premier livre avec ta collection de carnets… Ça commence en force!
Absolument (rires)! C’est quand même fascinant que ce soit un an jour pour jour et je voulais vraiment que le livre sorte le 10 avril, justement pour marquer le coup. Parce que le 9 avril, je publiais mon premier texte sur Urbania, mais le 10 avril, en fait, j’ai eu vraiment peur de mourir… On pensait que ma colonne était atteinte et que je m’en allais en chimio palliative. Donc, j’ai vraiment eu peur de mourir le 10… et le 11, on m’opérait pour mes seins, parce que finalement tout allait bien avec ma colonne. Dieu merci! Ça, ça a été le deuxième billet Urbania, c’est ce qui m’a donné l’élan pour continuer à écrire.
Une part des profits de la vente du livre sera d’ailleurs remis à la Fondation québécoise du cancer (pour chaque livre vendu, un dollar va être remis)!
Un peu plus en fait! Marquis Imprimeur et Rolland Papier vont bonifier chaque copie vendue aussi, donc ça va être plus que 1$. Je suis vraiment contente que tout le monde embarque! Même pour la distribution, personne n’a fait de chichi, parce qu’on va aussi remettre les livres gratuitement dans les centres d’oncologie, dans les centres d’hébergement partout à travers la province, pour que les gens qui sont en traitement puissent avoir accès à ce livre-là pendant leur traitement. Il y a vraiment une grosse énergie super positive avec tout ça. Tout s’enchaîne, tout s’enclenche et tout fonctionne! C’est très rare en fait, à ce que j’apprends dans le milieu de l’édition. C’est rare que tout ça fonctionne pour le même projet. Il doit y avoir une bonne étoile au-dessus de ça… depuis le tout début!
On te savait bonne actrice, mais avec tes chroniques et ton livre, on a découvert ta belle plume: tu es touchante, vraie, vraiment drôle, tu écris imagé… Écrire, est-ce que c’est quelque chose que tu faisais souvent avant?
J’écris depuis toujours, du plus loin que je me souvienne. Dès que j’ai appris le français, je me suis mise à écrire des histoires. Je me suis inscrite à l’INIS (Institut national de l’image et du son) en 2003, en scénarisation, parce que je voulais écrire pour la télé après avoir vu La Vie, la vie: j’ai adoré cette série-là à l’époque et je voulais faire du Stéphane Bourguignon (rires)! À partir de là, j’ai vraiment appris à construire des histoires, avec nulle autre que Janette Bertrand, quand même. C’est un bon prof! J’ai tout le temps écrit et de manière imagée en fait, c’est vraiment mon métier qui m’apporte ça. Je suis comédienne alors les images, moi, ça me parle! Le cinéma, la télé… j’aime mieux décrire quelque chose que de le dire. Que tout le monde ait capoté sur ma plume, ça, ça me scie un peu les deux jambes et ça me fait tellement plaisir. Ça m’ouvre une porte que j’espérais voir s’ouvrir depuis longtemps, parce que j’adore écrire! Là, la porte est ouverte, tout le monde sait que je suis capable d’écrire, donc je vais continuer, à mon grand bonheur (rires)!
As-tu d’autres projets d’écriture, de fiction par exemple?
Oui, mais non. Je ne peux pas en parler! Mais oui… mais non (rires)! En fait, je continue d’écrire, oui! Avec plus de support et de soutien.
Tu nous confies d’entrée de jeu dans le livre que «tu es capable d’en prendre». Est-ce qu’il y a un moment où tu as eu peur de ne pas passer au travers?
À partir du moment où je savais que j’avais juste le cancer des seins, non… Je me suis dit: «Mais non! C’est sûr que je passe au travers. Ils vont tout m’enlever, après ça je vais faire tous les traitements possibles pour qu’il n’y ait pas de récidive!» Parce que du moment où ils ont enlevé mes seins et qu’ils ont enlevé la chaîne ganglionnaire de mon bras gauche, il n’y avait plus de traces de cancer! J’ai passé tous les examens avant, donc mes scans, mon foie, mon pancréas, toutes les places où ça pouvait aller se loger, il n’y avait pas de métastases. Je suis encore convaincue qu’il n’y a plus de cancer dans mon corps. Mais là, l’avenir me le dira! Parce que tous les jours, j’ai la petite récidive qui vient me hanter, comme tous les gens qui ont eu le cancer en fait.
Quand je dis que je suis capable d’en prendre, c’est parce que: j’ai le cancer du sein… OK, j’apprends ensuite que j’en ai deux dans le gauche. On va les enlever! Après ça, OK, j’en ai un dans le droit qui est complètement différent de l’autre. OK, on enlève tout! OK, on va m’enlever tous mes ganglions. OK, je ne pourrai plus lever mon bras… À part le cancer généralisé ou qu’il y ait des métastases ailleurs, où là, j’aurais été en stade 4, tout est arrivé. Je ne pouvais pas aller au bout du cancer du sein plus que je suis allée au bout du cancer du sein (rires)! En tout cas, je ne connais personne qui en a eu plus que 3 dans les deux seins, complètement différents. Sans me péter les bretelles, j’étais comme: «WOW OK! J’ai eu la totale… J’ai eu la totale radio, la totale chimio, la plus forte, la plus dense… J’ai eu la totale côté cancer!»
Comme le phénix, ton livre nous montre que tu es renée de tes cendres. Toi qui aimais avoir le contrôle dans la vie, est-ce que la maladie t’a appris à lâcher prise un peu?
Ah oui, complètement. Vraiment. Tu n’as pas le choix, en fait. Tu n’as juste pas le choix. Du moment où tu sais que tu vas être arrêtée complètement pendant un an, ce qui a vraiment été mon cas, tu n’as plus de repères. Tu fais toujours des choses dans la vie, tu travailles, tu sors, tu t’amuses, tu vis normalement… Mais là, tu ne vis plus normalement, il n’y a plus rien de normal dans ta vie. Tu es obligée de lâcher prise, même si tu ne veux pas, parce que tu ne sais plus comment faire en fait (rires). Tu n’as plus de repères, tu es dans le vide complet. En tout cas, pour moi, ça a été ça. Parce que ça peut être différent pour beaucoup de gens, mais pour moi, ça a vraiment été ça. Je n’ai jamais été malade, je n’ai jamais arrêté de travailler… C’était vraiment un mur, ou un gouffre en fait plus qu’un mur. Le sol s’est ouvert sous mes pieds et… Ouf, j’ai traversé ça en apprenant à nager! Hier, j’ai commencé à tourner L’Échappée et j’avais une bonne journée avec huit scènes à tourner. Et je suis rembarquée sur mon vélo, mais ça n’a pas été facile! Oui, j’ai repris mes repères rapidement, mais ce n’était plus la même chose. J’ai changé et je pense que j’ai encore plus de plaisir à faire ce métier-là. Mais, il n’y a plus la même légèreté, la même innocence… Tout est plus important. Câline… J’ai du mal à ne pas être quétaine ou cliché, mais c’est vraiment ça. Tout est plus important. Je prends plus conscience de l’importance des choses. Tout revêt une importance plus précieuse!
Tes 24 fées ont été là pour t’aider tout au long du processus. Si on les imaginait en les lisant dans tes chroniques, on a pu les voir avec une magnifique photo dans le livre!
C’est beau, hein! C’est écoeurant ce que Julie Perreault a fait. C’est un gros WOW dans le livre. Je suis vraiment contente!
Tu sais quoi? Il y a vraiment 24 fées! Parce que tout au long où j’ai écrit sur Urbania, je nommais 21 fées. Pour me rendre compte finalement qu’il y en a 24, parce que j’oubliais ma fille, ma mère et ma soeur (rires)! Elles ont quand même été des fées de premier ordre, je te dirais (rires)… mais ma famille était comme acquise, donc je ne les avais pas incluses. En faisant la photo pour Julie, j’ai réalisé que c’était une grosse erreur. Il fallait que j’écrive 24 fées! J’ai vraiment été bien entourée et c’est la preuve que toutes ces femmes-là m’ont aidée pendant un an.
Après la pluie le beau temps: tu vas avoir une reconstruction mammaire dans moins d’un an. Est-ce que cette nouvelle étape te fait peur?
Ah non! J’ai hâte, si tu savais! Vivre avec les expanders, ce qu’ils mettent pour étirer ton muscle et ta peau en prévision de la reconstruction finale, c’est vraiment très désagréable. En fait, mon bras gauche a été très amoché à cause des ganglions enlevés, donc je suis encore suivie par une panoplie de professionnels de la santé pour ramener une certaine fluidité et un certain confort, mais j’ai tout le temps mal. Ça tire tout le temps! J’ai plein d’adhérences du côté gauche, mon omoplate ne fonctionne pas bien. Un coup que ça, ça va être enlevé, ma vie va être beaucoup plus simple. Et pas juste du côté intime! Quand je me regarde et que je suis toute nue, je me trouve bien belle! Ce n’est pas du tout «Oh mon dieu, elle s’est fait enlever ses seins!», vraiment pas… Ils ont fait une job extraordinaire. Geneviève, ma plasticienne, a fait ça comme une championne catégorie A1. C’est vraiment très beau. Mes cicatrices sont belles, mais physiquement, la douleur, ce n’est pas agréable. Quand ça va être beaucoup plus mou et que mes muscles et ma peau vont être redevenus un peu plus malléables, ça va se passer beaucoup mieux. J’espère ça comme cadeau de Noël en 2019! Je me suis mise des buts pendant un an et mon prochain but, c’est ça. Pour Noël 2019, je veux avoir des seins MOUS, qui ne font plus mal (rires)!
Tu vas d’ailleurs te lancer dans l’écriture et la réalisation d’un documentaire sur la mastectomie!
Oui! Ça, c’est un projet qui découle du cancer en fait. Parce que lorsque j’ai su que j’allais passer par là, j’ai vraiment cherché plein de supports numériques, écrits… J’en ai trouvé beaucoup, parce qu’il y a PLEIN d’affaires qui sont écrites sur les sites d’informations du cancer du sein. Malheureusement, il n’y a rien qui montre ce que c’est, se faire enlever les seins. On voit toujours la reconstruction finale, avec les beaux tatouages et que tout s’est bien passé. Ou tu vois des images où les femmes ont été vraiment charcutées et que c’était terrible! Mais après une semaine, quand ils t’enlèvent le pansement de mastectomie, tu ne sais pas ce qui se trouve en-dessous de ça… C’est vraiment épeurant. Ça fait vraiment mal. On se dit que ça doit être affreux et terrible, mais ce n’est pas si pire que ça. Et j’aurais aimé ça, moi, voir ça! J’ai des amies qui sont passées par le cancer et qui ont suivi une chimio. Mais la vraie affaire, t’sais la vraie vraie affaire, montrer ce que c’est vraiment le cancer… Je l’ai écrit, ce que c’est vraiment, mais je veux aussi le montrer! Parce que quand tu sais ce qui t’attend, c’est vraiment moins épeurant. Il n’y a plus de zones floues. C’est clair! Avec ce documentaire-là, je veux proposer un guide de survie. C’est comme ça que je l’appelle, pour les différentes étapes du cancer du sein. Je vais faire le cheminement avec cinq femmes qui sont rendues là dans leur processus de cancer (parce que ça ne sera pas mon histoire) et on va montrer vraiment ce que c’est. Donc, le diagnostic, l’opération, la chimio, la radio, la reconstruction… Ça va être drôle aussi, parce que j’ai de l’humour! Ça va être beau, ça va être trash, ça va être drôle, mais ça va dire les vraies affaires. Je pense que ça peut aider pour toutes celles qui vont suivre!
Toi qui n’as jamais été très très friande des front pages et magazines à potins parce qu’il fallait se dévoiler… on s’entend que tu t’es dévoilée à 110% dans ton livre et que tu as VRAIMENT laissé tomber ton quatrième mur!
Oui, exactement! Mais en même temps, c’est là que je mets toujours le bémol… C’est que j’ai parlé de la maladie, de comment ça se passait, mais Anick, il n’y a pas beaucoup de gens qui la connaissent sincèrement. À part mes fées, mon entourage proche, je réussis quand même à garder mon petit jardin secret. Mais oui, j’ai vraiment parlé de la peur, de la colère, des pleurs, oui. Tout ce qui a trait au cancer, j’ai vraiment été franche et authentique. J’ai laissé un peu les gens entrer dans ma vie… et c’est correct. Je l’assume et tout est parfait, mais ça m’a dépassée aussi tout ça. J’écrivais comme j’écrivais à une amie. Je n’avais pas conscience non plus de ce que ça avait comme portée, parce que je ne regardais pas le site d’Urbania, je ne regardais pas les réseaux sociaux. J’étais couchée sur mon divan et j’attendais que ça passe. Aussitôt que j’envoyais une chronique à mon éditrice, Rose-Aimée, elle me réécrivait que c’était parfait, m’envoyait la version finale et me demandait mon approbation concernant la date de publication. Je l’approuvais, elle partait et je retournais me coucher. Il y a eu un espèce de flot continu de création. Je pense que ça m’a beaucoup aidée aussi à écrire quelque chose, simplement écrire. C’est après que j’ai compris l’engouement, l’importance… la portée de ce que j’avais écrit. Je n’en reviens toujours pas! Parce que ça fait juste un an et j’ai un livre dans mes mains! C’est un peu fascinant tout ça, sincèrement.
Tu vas faire ton grand retour dans la quatrième saison de L’Échappée. Peux-tu m’en dire un peu plus sur le comeback de Noémie?
Noémie va avoir les cheveux courts! Elle revient du Costa Rica avec des secrets… un lourd secret, qui va être difficilement portable et racontable, je te dirais. Ça va prendre quelques épisodes avant que le chat ne sorte du sac. Elle revient avec une grande blessure et ça va teinter beaucoup Noémie. Ce n’est plus la Noémie qu’on connaît, directrice de L’Échappée, un peu dépressive, en peine d’amour de son ancien mari. Elle est vraiment passée à autre chose et ça fait vraiment du bien à l’actrice que je suis! J’étais contente de la retrouver hier, elle a une toute nouvelle assurance… J’aime beaucoup Noémie cette année!
Qu’est-ce qui s’en vient pour toi?
Je pense que mon année commence en diable, en force, mais ça va… Sur L’Échappée, ça va très bien. Je n’ai pas trop de jours et le documentaire, j’ai un 22 jours de tournage, et après ça c’est la post-production. On va travailler fort pour qu’il sorte lors du mois du cancer du sein, en octobre. On devrait tourner cet été, monter ça en début d’automne et pour la mi-octobre, on devrait pouvoir mettre ça sur les plateformes de TVA, parce que c’est TVA qui va le diffuser. J’ai aussi déposé à la SODEC mon court-métrage avec Louise Latraverse sur l’Alzheimer et l’aide médicale à mourir et j’espère vraiment le tourner à l’automne; j’attends de savoir s’il va être financé ou non!
Finalement, tu es une fille de plaisir: quels plaisirs as-tu gardés et éliminés?
Je n’en ai éliminé aucun (rires)! Au contraire, je prends encore plus de plaisir dans tous les plaisirs que je m’offre. Je comprends qu’il y ait des gens qui cessent l’alcool, le sucre et le gras après qu’ils aient eu un cancer. Ça n’a vraiment pas été mon cas, au contraire! J’ai toujours été très «enjoy life», donc oui, je l’enjoy encore plus aujourd’hui. Ce n’est pas dans la démesure… Je continue à boire mon petit verre de vin blanc et si c’est le 3/4 de la bouteille de vin blanc, je vais continuer à la boire, parce que c’est le party! Je mangeais bien déjà et je n’ai pas arrêté de manger de la viande rouge (je vais en manger une fois par semaine ou aux deux semaines). Je ne pense pas que c’est de ma faute si j’ai eu le cancer. Je crois que j’ai simplement tiré le mauvais numéro, en tout cas, c’est ce que je pense, et je fais avec… mais je ne me tape pas sur la tête! Oui, j’y ai réfléchi et je me suis questionnée, mais ça a duré deux jours et après mes médecins m’ont dit: «Arrête ça tout de suite! Tout va bien!» Mais je comprends les gens qui font des choix santé par la suite. Je comprends la planète Terre aussi… Je comprends tout ça, mais ici, maintenant, moi, je prends le parti que la vie est bonne et que les plaisirs sont là pour être dégustés et grignotés jusqu’à la satiété!
Le gouffre lumineux: les carnets d’Anick Lemay, qui paraît sous l’étiquette d’Urbania, sera disponible le 11 avril prochain en ligne (24,95$) et en librairie.
Voir cette publication sur Instagram
À lire aussi:
«Je m’appelle Anick Lemay, j’ai 47 ans et j’ai le cancer du sein»
Crédit photos article: Urbania