Une ex-toxicomane qui a gardé son cœur de punk. Une prof de yoga et vulgarisatrice de savoir-être pour enfants et ados. Une maman qui s’est fait évincer de son logement. Une entrepreneure à qui la pandémie a donné un sale coup. Une adepte d’eau chaude citronnée qui lance un salon de thé après être tombée amoureuse d’un… plateau de service.
Jennifer Mallin, 50 ans, est tout ça. Et surtout, elle est Lady Porcelaine. C’est à la fois le nom de son établissement très girly sur le Plateau Mont-Royal et son nom de plume. Car elle lance cette semaine le fruit de plusieurs années de recherche, L’heure du thé. Un joli petit ouvrage hautement instructif, qui nous renseigne sur l’histoire des salons de thé, l’étiquette, la porcelaine, la préparation, le service et la consommation du thé et ses accompagnements. Non, on ne lève pas le petit doigt… depuis que les tasses on des anses! On y trouve aussi un mode d’emploi pour organiser une heure du thé chez soi, entre adultes ou avec des enfants, en hiver comme en été, des recettes et même un quiz pour tester ses connaissances. En prime, elle nous donne son secret pour faire partir les vilaines taches de thé dans les tasses (je vous laisse l’acheter pour le découvrir).
Discussion avec une passionnée du rituel autour de cette boisson millénaire, pour qui il s’agit vraiment d’une THÉrapie.
Jennifer, comment ton aventure «théinée» a-t-elle commencé?
Comme pour la plupart des gens, le fameux 13 mars 2020 a marqué un tournant dans ma vie. Ça faisait 20 ans que j’avais mon entreprise et tout s’est arrêté à cause de la pandémie. En plus de ne plus pouvoir aller dans les écoles, j’étais sur le point de tourner une émission de télé avec une grosse boîte de production. J’avais coécrit un livre, Ce que vos enfants n’osent pas vous dire, qui a été publié un peu dans le beurre. Puis, mon fils et moi nous sommes faits évincer de notre logement. Bref, tout allait mal. J’ai réussi à dénicher un grand appartement en me disant que j’y consacrerais une pièce pour tourner des capsules web, à défaut d’émissions. J’étais partie m’acheter des draps, puis surprise, j’ai eu un coup de cœur instantané pour une assiette de service en porcelaine à trois étages de marque Royal Albert. Je ne l’ai pas achetée sur le coup, je suis repartie en me disant: qu’est-ce que je viens de vivre? Avant ça, j’avais toujours trouvé la porcelaine quétaine! Mais le lendemain, j’y suis retournée, et je l’ai prise, avec deux tasses. Une folle dépense!

Qui a eu un effet transformateur…
Tellement! Mon loyer n’était même pas encore meublé. J’avais un sofa et une vieille caisse toute cabossée en guise de table. Mon fils et moi, on s’installait devant l’assiette, je disposais des crudités, du fromage, des saucissons, et on buvait notre eau chaude citronnée dans nos belles tasses en se sentant riches. Même si on ne l’était pas! J’appelais ça mon Me Time Tea Time. On a commencé à le faire chaque jour, et puis j’ai progressivement eu le sentiment de retrouver une dignité. Je m’étais définie par mon travail, j’étais mon propre produit, alors c’est comme si je me donnais le droit d’avoir un petit luxe hors du temps. Et puis de voir mon ado être soudainement délicat, avec sa grosse main qui tient la petite tasse… Tout est parti du plateau, vraiment. J’ai voulu honorer ce magnifique objet en meublant mon appartement en conséquence. J’ai déniché un vaisselier usagé, que j’ai peint en rose. J’ai peint un des murs turquoise pâle. J’ai commencé à magasiner la porcelaine dans des bazars, j’ai agrandi ma collection, j’ai été bénie parce que j’ai trouvé plusieurs pièces à un prix dérisoire. C’était comme devenu une thérapie par la porcelaine, ça changeait mon énergie.
Tu en es même venue à ouvrir un salon de thé… dans ton salon!
Oui, j’ai commencé à publier des photos de mes tasses sur Instagram, ça a suscité de l’intérêt, des gens, des femmes, surtout, voulaient venir prendre des photos chez nous et me payer pour ça! De fil en aiguille, avec le déconfinement, j’ai organisé des petites heures du thé sur référence seulement. Mais je ne connaissais rien là-dedans. C’est là que j’ai commencé à chercher des infos. Je voulais savoir le pourquoi du comment. L’étiquette, je trouvais ça hautain. Mais quand on lit là-dessus, sur l’histoire, ça devient fascinant. Et puis la connaissance, c’est le pouvoir. Savoir pourquoi on fait les choses, ça donne une confiance en soi. Après, dans mon salon de thé, on fait comme on veut. La seule règle que je suggère, une fois que les plateaux de bouchées sont servis et qu’on les a pris en photo, c’est de ranger son cellulaire.

On apprend dans ton livre que les salons de thé sont liés à l’émancipation de la femme…
Au 19e siècle, en Angleterre, les hommes avaient leurs coffee house, leurs clubs privés exclusivement masculins. Il n’y avait presque pas d’endroit public où les femmes pouvaient être ensemble, entre elles. C’est une gérante de pâtisserie à Londres qui en a eu l’idée et ça a fait boule de neige. Les salons de thé sont devenus des lieux de discussions et d’échange d’idées, et certains possédaient un étage réservé à un club social, que fréquentaient les suffragettes.
Reçois-tu parfois des gang de gars à ton salon de thé?
Mmm… non! Des couples, oui. Les hommes sont les bienvenus, on a des nœuds papillons pour eux, comme on prête des bibis et des fascinator, que tu clippes dans les cheveux, aux femmes, et on vend aussi des gants en dentelle. On a toutes joué à la dinette quand on était petites! Tant qu’à jouer aux dames, jouons au grandes dames! Donc les salons de thé, ça a toujours été un safe space pour les femmes. Elles peuvent être elles-mêmes, s’accorder ce moment en pleine conscience.
Tu pousseras même le concept avec un bal Lady porcelaine!
Je suis folle de même! Mon but, c’est de faire vivre des expériences aux gens. On est beaucoup à avoir rêvé de prendre part à un bal à la Bridgerton, bien j’en organise un [détails ici]. Ça se passera le 19 mai, à la Maison principale, dans le quartier Saint-Henri, une salle de réception absolument magnifique, où le plancher rappelle celui du Château de Versailles. Il y a toute une préparation des convives en amont, un atelier virtuel pour expliquer le langage secret de l’éventail et des gants, le fonctionnement du carnet de danse, les codes, l’étiquette. Puis sur place, les gens pourront s’afficher avec un ruban dont la couleur a une signification selon qu’ils sont célibataires, en couple ou ouverts à des rencontres. Et pas obligée d’arriver en robe de bal! Il faut juste être chic et éviter le noir, réservé au personnel de service. Bref, j’ai créé mon salon de thé de rêve, là, je crée mon bal de rêve.

Je vous en ai déjà glissé un mot, mais je le redis: j’ai adoré mon expérience au salon Lady Porcelaine! Dès l’extérieur, notre regard est happé par la devanture fleurie, toute rose, comme la couleur qui domaine à l’intérieur. Chaque élément de déco a été récupéré, renippé, mis à la touche de Jenn, la magicienne derrière cet endroit qui est fabuleux jusque dans ses salles de bain. En plus d’avoir rescapé des tasses en porcelaine un peu abîmées, qu’elle a joliment alignées sur une moulure dans la pièce principale, elle nous permet de choisir notre tasse pour l’expérience du thé. Elle ne le dira pas, mais il y en a des très coûteuses là-dedans! Ses bouchées proviennent toutes de fournisseurs locaux, dont la fameuse clotted cream, produite à Pointe-Claire, et les scones parfaits, tout le comme le thé, qui vient de Camellia Sinensis, une référence au Québec. Bref, c’est la place parfaite pour un après-midi girly!
