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Quelqu’un d’extraordinaire

Depuis de nombreuses années, comme vous le savez, je m’implique auprès de la Fondation du cancer du sein du Québec. Cette cause qui me tient à cœur m’a permis, au fil du temps, de faire des rencontres marquantes avec des personnes hautement inspirantes. Dernièrement, j’ai eu la chance d’échanger avec une femme extraordinaire, Mei-Lin Yee, une mère de trois enfants dans la jeune soixantaine qui vit avec le cancer du sein métastatique. Ce qui veut dire, en gros, que des métastases se sont propagées vers d’autres parties de son corps et qu’il n’y a pas de rémission à l’horizon.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que l’un des objectifs premiers de Mei-Lin soit de vivre sa vie au meilleur de ses capacités, et ce, à chaque jour qu’il lui reste. Elle m’en offre un exemple dès les premières secondes de notre rencontre. Lorsque nous nous installons pour notre entrevue, je lui demande si elle est d’accord pour qu’on prenne des photos pendant l’entretien. En se replaçant une mèche de cheveux, elle me répond oui et ajoute: «Je leur fais attention, parce que pendant trois ans, je n’ai pas eu de cheveux.»

Trois ans! Comment tu te sens aujourd’hui, Mei-Lin?

Parfois, j’ai l’impression que ma vie est un rêve parce que je ne suis pas censée être ici, et pourtant je suis là, alors souvent, quand les choses deviennent frustrantes ou accablantes, comme elles le seraient pour n’importe qui d’autre, je les remets en perspective et je me dis que j’ai vraiment de la chance d’être en vie et de les vivre, ces choses.

Peux-tu nous raconter ton parcours?

J’avais 45 ans quand j’ai reçu mon diagnostic. Je me concentrais alors beaucoup sur ma carrière, je rêvais de monter ma propre entreprise plus tard. Je voyais mon mari et mes enfants le soir et les week-ends, mais j’étais vraiment dévouée à mon travail. Au point où j’en suis venue à être épuisée, à perdre du poids et à souffrir de sinusite chronique. Je pensais que c’était juste à cause de la fatigue… Finalement, quand j’ai réalisé qu’une masse poussait sous mon bras, j’ai contacté l’Hôpital général juif et, en quelques semaines, je suis passée de «ah, tiens, j’ai quelque chose sous le bras» à apprendre que j’étais atteinte d’un cancer qui se retrouvait à différents endroits dans mon corps.

Je savais certes que c’était une très mauvaise nouvelle, mais je pensais que je n’aurais qu’à subir quelques mois de chimiothérapie ou de radiothérapie. Ce n’est que lorsque j’ai rencontré le dernier oncologue, parce que j’en ai vu six de différentes spécialités, que le diagnostic est tombé: «Vous avez un cancer du sein de stade avancé. Nous ne guérissons pas ce type de cancer. Notre objectif est de vous aider à vivre le plus longtemps possible.» Puis il m’a conseillé de mettre de l’ordre dans mes affaires…

Quel terrible choc! 

Oui. Je me souviens d’avoir vu une pub des années auparavant: la personne est dans le bureau du médecin et on n’entend pas ce qu’il lui annonce, mais on la voit reculer sous l’effet d’un grand choc, comme s’il y avait eu une explosion. C’est comme ça que je me suis sentie. J’étais avec ma mère et mon mari, Robert, et quand je suis ressortie, je n’entendais plus rien, eux non plus, on était en état de choc. Après, j’ai vécu une période de déni. Si bien que j’ai appris la nouvelle un vendredi, et que le lundi, je suis retournée au bureau comme à l’habitude.

Donc tu n’as pas pris de congé de maladie?

C’est spécial, car j’ai pratiqué comme avocate pendant plusieurs années, puis je m’étais redirigée en ressources humaines. Dans mon bureau, j’en avais vu des gens avec un diagnostic de cancer à qui j’expliquais ce à quoi ils avaient droit et comment faire leur demande pour les assurances, pour le congé à court, long terme, etc. Pourtant,  je n’étais pas prête à admettre que le cancer allait prendre possession de ma vie.

Comment as-tu annoncé la nouvelle à tes enfants?

On était en fin d’année scolaire. Je ne leur ai pas annoncé tout de suite, car je ne voulais pas ruiner le bal de finissant de Gabriel, mon deuxième fils. Je me suis maquillée, je me suis coiffée, on est allés au bal, puis on a dansé ensemble. Je souriais, pour lui, mais je savais que j’allais bientôt entamer la chimio, et qu’il me restait moins de deux ans à vivre… Et ça, Mitsou, c’était il y a 15 ans!

Wow! Tu as totalement déjoué le pronostic! Tu as écrit sur Instagram récemment que tu étais tellement heureuse d’avoir vécu la graduation tes trois enfants dont ta plus jeune, Li-Mei. Tu veux m’en parler un peu?

Lorsque j’ai eu le diagnostic, ma plus jeune était en maternelle. Nous avons adopté Li-Mei en Chine. Parfois, pour me donner du courage, je disais à mon mari qu’elle avait déjà été abandonnée une fois, alors qu’il ne fallait pas que moi, je l’abandonne. Quand elle a terminé sa sixième année, j’étais si heureuse d’avoir pu l’accompagner jusque-là. Imagine alors combien j’étais émue de la voir terminer son secondaire cinq! Ça a été probablement un des plus beaux jours de ma vie. Il y a plein de choses comme ça qu’on tient pour acquises quand on n’est pas malade.

On voit que tu croques dans la vie. C’est ta nature profonde?

Je pense que j’ai toujours croqué dans la vie. J’ai toujours su comment apprécier, aimer et voir les moments magiques de mon existence. Mais depuis le diagnostic, on dirait que toutes ces capacités se sont multipliées. Quand je ressens un sentiment, une émotion envers quelqu’un, il faut absolument que je lui dise. Avant mon diagnostic, j’appréciais beaucoup mes proches, mais aujourd’hui, je verbalise plus: je t’aime, je m’ennuie de toi. Même mon rire est plus profond et plus spontané. Il résonne parce que je sais à quel point je suis chanceuse d’être encore ici. Les barrières qu’on se met parfois au niveau social, j’ai décidé de m’en débarrasser! Je vis toutes mes émotions à fond.

Et quand ce sont des émotions négatives, est-ce que tu le dis haut et fort aussi?

Non, parce que je réalise que l’énergie négative me sert moins. Si j’ai une frustration par exemple, je vais plutôt la rationaliser. Je vais me servir d’événements négatifs que j’ai déjà vécus pour relativiser. Je me dis que si je suis passée par-dessus ceux-ci, ce n’est pas un petit pépin qui va me faire baisser les bras. Avant mon diagnostic, j’ai eu à vivre quelque chose de très difficile. Je me souviendrai toujours que ma mère m’avait dit qu’elle n’avait pas accouché de moi pour que je souffre dans la vie. À ce moment-là, je ne comprenais pas pourquoi elle me disait ça, mais maintenant, j’y pense souvent. Je ne suis pas passé à travers ces épreuves, puis à travers le cancer, pour que les petits obstacles me fassent souffrir. C’est comme ça que j’avance.

Tu parles des souffrances psychologiques. Tu en as sûrement eu des physiques aussi…

Oui, même maintenant j’ai des séquelles sur le plan physique. J’ai ce qu’on appelle une neuropathie qui affecte mes pieds, alors je ne les sens plus. Je n’arrête pas de me casser les orteils parce que je me cogne un peu partout, mais je ne ressens pas la douleur. Aussi, ma vision a changé, je ne vois plus aussi bien qu’avant. Mais tu sais, si je peux me rendre compte de tout ça, c’est parce que je suis vivante.

Je trouve ça très touchant ce que tu dis, ça s’applique à nous tous, parce qu’on ne sait pas toujours comment choisir nos batailles. J’imagine que tu as dû faire un grand ménage dans ta vie…

Oui. J’ai réalisé qu’il y a des gens qui sont des «preneurs»: ils prennent, mais ils ne donnent rien en retour. Je suis une personne généreuse, ça fait partie de ma personnalité. Et la seule fois dans ma vie où j’ai eu besoin de la générosité des autres, j’ai réalisé que les gens peuvent parfois être égoïstes. Il y a certaines personnes que j’ai exclues de ma vie délibérément, et d’autres qui l’ont fait d’elles-mêmes, jugeant que je ne pouvais plus rien leur apporter. Les amis que j’ai aujourd’hui sont de vrais amis et je sais qu’ils le demeureront toute ma vie. Ils ont été présents quand c’était nécessaire, tout comme l’amour de ma vie, mon mari.

Tu es chanceuse que ton mari soit si attentionné et présent dans cette épreuve…

Oh oui! Je pense que la statistique, pour les femmes atteintes d’un cancer du sein, est une sur deux qui va divorcer. Ce type de cancer touche à notre féminité, à notre sexualité. Des fois, pour le partenaire, c’est très difficile de voir que sa femme n’a plus le corps qu’elle avait avant. Mon mari était là avec moi pendant chacun de mes 174 traitements de chimiothérapie, il n’arrêtait pas de me dire combien que j’étais belle, combien il m’aimait même quand j’étais chauve et boursouflée, même quand j’étais en chaise roulante. Je souhaite à tous de vivre un tel amour une fois dans leur vie.

Qu’est-ce que le cancer a rajouté dans ta vie?

Je suis beaucoup plus à l’écoute de moi-même qu’avant mon diagnostic. Je prends du temps pour moi, maintenant. Je ralentis. Que ce soit pour aller me promener, faire du sport ou juste passer la soirée à regarder un film qui me tente au lieu de celui que les autres veulent voir. Comme mère, ce n’est pas un comportement qu’on apprend, hein. Déjà, en tant que femme, on hésite à demander de l’aide, on veut montrer qu’on est indépendante et forte. Mais je pense que vieillir apporte aussi cette sagesse de se donner le droit de prendre soin de soi avant tout.

Tu viens d’avoir 60 ans, c’est une étape que tu ne pensais pas franchir…

Autour de moi, mes amis craignent d’atteindre cet âge. Mais moi, j’avais super hâte de souffler mes 60 bougies! Je suis fière d’avoir cet âge, et je n’hésite pas à l’afficher!

Tu attribues à quoi le fait d’être toujours là, 15 ans plus tard, toute vibrante, en forme?

Je pense que c’est parce que je n’ai jamais lâché le morceau. J’ai toujours tout fait pour m’assurer d’être le plus en forme possible afin de tolérer mes traitements de chimio. Bien manger, faire de l’exercice, même si mes médecins me disaient que je ne devais pas en faire trop. Beaucoup de vélo, de natation et de marche. Trois jours après une séance de chimio, j’ai participé au Cyclo-défi contre le cancer, qui consiste à rouler de Montréal à Québec, sur 210 kilomètres. Je voulais montrer que c’était faisable même pour une personne en plein combat contre le cancer. J’avais une équipe avec moi et, rendue vers la fin, j’étais tellement épuisée que je ne pouvais littéralement plus avancer. Les gens de mon équipe m’ont rembarquée sur mon vélo et m’ont poussée jusqu’à la ligne d’arrivée. De plus, j’ai pris soin de moi physiquement, mais aussi psychologiquement. J’arrivais à l’hôpital souriante, maquillée, pour me sentir à mon meilleur, même si j’allais en chimio.

Tout n’a pas dû toujours être rose, toutefois…

C’est sûr que non. Il y a eu des moments très difficiles. Je pense qu’une des choses qui m’ont aidée est que j’ai commencé à pratiquer ce que j’appelle la compartimentalisation. Je me disais: Bon, j’ai cette maladie, des séquelles, mais si je peux trouver un moment de joie dans la journée, juste un, et penser à ce moment, à la joie que ça m’a apporté… Et j’ai essayé de créer mes moments de joie moi-même. Car oui, il y avait des jours où je ne pouvais même pas sortir de mon lit. Donc si le moment de joie pour moi cette journée-là était d’avoir ma petite famille à mes côtés, qui me donnait des câlins, puis qu’ensemble on regardait une émission à la TV, c’était suffisant. C’était un moment de joie dans une vie d’enfer. Et c’est ça qui m’a aidée.

Comment occupes tu ton temps maintenant?

Après un arrêt de travail, je suis retournée aux études en droit de la santé, parce que je voulais rendre mon experience personnelle utile et redonner. Je suis maintenant bénévole à l’hôpital et cela me comble beaucoup.

Ta vision de la vie a changé avant et après ton diagnostic? 

Oui, avant mon diagnostic, je voyais la vie comme une course. Ce n’était pas aujourd’hui qui comptait, c’était demain et après-demain, quand je serai rendue à tel ou tel stade. Je ne pense plus comme ça. Je vis le moment présent sans penser à demain. Mon bonheur, c’est maintenant, pas demain.

 

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Photos: Endless Reach Visuals

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