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Le Deuil avec un grand D

Ce matin, je déjeune avec ma grand-mère. Elle est sous la forme d’une rose, séchée. Une fleur que j’ai cueillie sur sa tombe avant qu’on ne l’enterre. Je sais bien que la vie est remplie de petites morts qu’il faut apprivoiser, mais celle-ci prend du temps.

Le début de l’été 2019 semble déjà si loin et je tente de me remémorer le deuil que j’ai vécu. Un Deuil avec un grand D, avec toutes ses émotions et ses étapes, vécues intensément une à une. J’ai eu la chance d’être là ses dernières heures à l’hôpital. Elle était entourée de la moitié de ses enfants (elle en a eu 12). Nous lui chantions les berceuses sur lesquelles elle nous a tous endormis une nuit où l’autre de sa vie de mère et de grand-mère. Elle a donné son dernier souffle cette nuit-là dans les bras de Jeanne-Mance, sa fille infirmière.

Je suis revenue de Trois-Pistoles à Montréal avec ma mère, pour la fin des classes puis suis retournée dans le Bas-du-Fleuve pour vivre un service « à l’ancienne». Je dis cela parce que je réalise qu’à notre époque, les choses sont faites de manière précipitée, même dans le domaine du deuil. On reçoit un message Facebook avec les détails des obsèques, on achète des fleurs, on se rend au salon un après-midi, on pleure, souvent beaucoup, puis éventuellement on referme le top de la grosse (ou petite) boite et on retourne à la maison. Je me trompe peut-être, vous me le direz certainement, mais j’ai l’impression qu’on brûle des étapes.

Pour la première fois, j’ai eu la chance de vivre à cent pour cent chaque moment de cette épreuve, mais aussi d’être témoin d’un système qui a fait ses preuves. À Trois-Pistoles, le p’tit monsieur du salon funéraire, il connaît son affaire. Il était au service de mon grand-père, l’a déposé sous terre, et vingt ans après il lui a retourné sa douce moitié. Entre temps, ma grand-mère aura appris à vivre seule, à faire des chèques, à conduire. Elle a aussi recommencé à jouer aux quilles (c’est pendant une joute que mon grand-père s’est effondré). Mme Lucien Rioux — c’est avec le nom de leur mari que les femmes étaient appelées à l’époque — est devenue Annette Beaulieu Rioux.

Le monsieur du salon funéraire nous a fait tout un cadeau au cimetière: après avoir déposé des fleurs autour d’elle, il a donné la dernière absolution avec le bénitier, celui-là même qui avait marié Lucien et Annette 78 ans auparavant. Chacun notre tour, nous avons pris le bénitier et avons lancé un petit jet d’eau bénite en exprimant un souvenir. On l’a remerciée pour sa tourtière, pour sa soupe aux légumes et son sucre à la crème… C’est fou comme ce sont les choses simples qui marchent. Mon cousin Simon a même avoué que c’était lui le tannant, qui avait brisé la bicyclette de grand-maman. Le soleil était chaud, nous avons pu vivre ce moment ensemble et j’ai pu enfin sourire un peu.

Depuis le début de cette journée intense, j’avais traversé une palette d’émotions sombres, dès mon arrivée au salon funéraire où ma mère avait peine à entrer. Nous avons offert des accolades embuées. La famille éloignée, mais soudainement si près s’est jointe à nous, puis beaucoup d’amis de la petite ville sont venus saluer Annette. Farouche comme l’était ma grand-mère, je me suis cachée dans la kitchenette du salon funéraire pour retrouver un peu de solitude et me replacer les esprits.

Je suis retournée «dans le monde» alors que mes cousins s’apprêtaient à soulever le cercueil pour l’emmener vers le corbillard. J’ai crié Wo! Attendez! Ça allait trop vite pour moi. Pour ma mère et mes tantes aussi. Après de vrais adieux sentis, nous avons marché ensemble de l’autre côté de la rue, vers l’une des plus belles églises de notre province. J’étais déboussolée, même fâchée que la vie se résume à ça. On finit tous à la même place, dit-on!

Un service funéraire, c’est long. Mais c’est justement assez long pour passer des larmes à une sensation de paix. Ma fille Stella avait choisi d’enregistrer la chanson Le voyage de Poulenc. C’était magnifique. Le texte de mon cousin Mikael sur notre héroïne à nous a réussi à m’apaiser. Tous y ont mis du cœur et l’église était remplie d’amour.

Nous nous sommes tous retrouvés en famille le lendemain. Nous avions organisé pour la première fois depuis longtemps, une rencontre des Rioux. Bizarrement, un an auparavant, nous nous étions promis de nous voir le week-end de la Saint-Jean 2019 pour souligner le 96e de grand-maman. Annette a décidé de partir juste avant, pour ne pas être le centre de l’attention. Elle l’a été malgré elle. La veille à l’église pour la pleurer, le lendemain sur une terrasse au coucher du soleil pour la célébrer. Nous avions déjà réservé les chambres d’hôtel et les billets d’avion pour certains venus de la Saskatchewan et des États-Unis. Nous avions préparé le menu de la salle de réception, la musique, les diaporamas. Nous n’avions plus sa présence concrète, mais sa génétique était partout, jusqu’à ses petits-petits-enfants. Annette nous tous a portés dans ses bras, mais ce soir-là, c’était à notre tour de la porter en nous.

Ma rose ce matin est fragile comme la vie, fragile comme mon cœur. Mais à cette rose je dis merci.

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