5 avril 2020.
La 5e semaine de confinement débute. Bien des gens détestent, moi il y a quelque chose là-dedans que j’adore. En fait, c’est ma vie rêvée ou presque. Je n’ai plus à sortir de la maison. Je n’ai plus d’obligations parce que je ne sais jamais dire non, parce que j’ai connu la famine professionnelle et que j’ai encore peur de manquer de quelque chose. Je n’ai pas le choix : je vis sans me projeter, ici et maintenant : ma famille, la radio dans mon sous-sol et mon ordi. Nous sommes la plupart du temps dans la cuisine, on fait des repas ensemble, on jase, on nettoie ensemble, j’apprécie mes filles, mon chum, on se colle, distancés du monde et ça me fait du bien.
J’ai même eu une petite fleur dernièrement. La certitude que tout le monde vivait enfin dans mes pantoufles. Ça a commencé avec ma mère, au téléphone. Je ne sais pas ce que j’ai, je ne pense qu’à manger. Ma toute petite maman a des pensées intrusives de bouffe à cause de la COVID-19? Plus tard, ma soeur Noémie qui n’a jamais pensé à faire de régime de sa vie, me raconte qu’elle n’a qu’une idée en tête : le prochain repas. Comme s’il n’y avait rien d’autre qui pouvait procurer du plaisir, comme si c’était la seule douceur dans cette période de confinement. Welcome to my life ! Lui ai-je répondu.
Bienvenue dans ma vie. Celle qui a commencé à l’âge de 12 ans, alors que j’ai fait mon premier régime parce que je n’étais pas élancée comme les Charlie’s Angels (la première version, avec Farrah Fawcett, ça ne me rajeunit pas!). Cette obsession a bouffé ma vie jusqu’à dernièrement. Malgré la dernière année en traitement pour un trouble alimentaire, je vous avoue que je ne m’en suis pas encore totalement débarrassée. Je vis avec, tout simplement. Je l’accepte à mes côtés, je sais quand il m’envahit à 95%, je sais quand j’arrive à l’oublier. Je sais aujourd’hui que c’est la société qui a un trouble. On nous a vendu du mince, de l’amélioré depuis des décennies pour nourrir une industrie qui nous vendait du rêve et ça nous a rendus malades. Pis n’allez pas me dire que c’est une affaire de filles. C’est juste qu’on est plus sujettes à faire une obsession sur notre image corporelle à cause de… tout ce qui nous entoure!
Aujourd’hui, avec le confinement, c’est comme si une bonne partie de la population avait le même traumatisme en même temps. Je ne suis pas seule à me repentir sur les fringales de la veille, à me demander combien j’ai pris de poids depuis le début du confinement avec un serrement au coeur. Pandémie ou non, je sais que ne suis pas seule à me regarder dans le miroir, à me pincer le ventre pour voir si sa texture a changé depuis la veille. Mais je sais pertinemment qu’en ce moment, personne n’est dans son assiette tout en l’étant complètement!
Un trouble alimentaire donne souvent l’impression que l’on a dans le passé vécu une famine. C’est d’ailleurs souvent le cas. Être en famine, c’est vivre en dessous de ses besoins caloriques quotidiens. Tous les régimes sur la terre mettent dans un état de privation, même les « nouvelles façons de s’alimenter », les détox et les « styles de vie santé qui ne sont pas des diètes » qui fourmillent sur les comptes Instagram des beautiful blogueuses. Malgré leurs titres renouvelés pour apparaître politiquement corrects, l’effet est le même: le corps vit un traumatisme et décide de prendre en charge ses besoins, même si la raison dit tout le contraire. C’est pour cela que décennie après décennie, la seule donnée qui reste exacte est que le corps reviendra à la normale après chaque régime et prendra toujours quelques livres de plus, pour faire des provisions au cas où l’on flancherait prochainement pour le nouveau régime de l’heure.
À la mi-mars, on a présenté aux nouvelles des scènes avec des gens se ruant dans les épiceries, de peur de manquer de nourriture comme si la fin du monde approchait. Pour moi, la fin du monde, cette sensation de manque, elle existe depuis près de 40 ans. Pendant toutes ces années, elle m’a fait faire des trucs pas possibles. J’en ai vécu des périodes de restriction: arrêter de manger, rationner chaque portion, cacher des provisions ou manger en cachette dans la tristesse et la honte. C’est comme à la guerre, mais la guerre contre moi-même. J’ai vécu en niant mes propres besoins corporels, en mangeant parfois seulement 800 calories par jour ce qui fait qu’après, l’élastique de la faim pète au frette. En ce moment, ce que l’on vit ressemble beaucoup à ces périodes de restrictions traumatisantes.
Nous sommes emprisonnés dans nos logements, avec nos peurs, nos angoisses personnelles, professionnelles, économiques, familiales et sociales. Toutes les angoisses sont dans le même panier. Le seul baume sur nos coeurs, c’est cuisiner et manger. Une chance que l’on a cette soupape! Qu’on se le dise, on va prendre une couple de livres COMME TOUT LE MONDE ce qui est tout à fait normal dans les circonstances. Sauf que les uns prennent ça avec un grain de sel tandis que d’autres paniquent. Si vous lisez encore ce texte, c’est peut-être parce que vous êtes dans ce clan. À vous, je dirais que l’angoisse d’avoir pris du poids est beaucoup plus lourde pour l’âme que les livres que vous avez probablement prises.
Derrière les portes closes, certains douteront de l’amour et du désir de leur partenaire. Les célibataires craindront de pouvoir rencontrer quelqu’un un jour s’ils ne sont pas à la hauteur des standards esthétiques actuels. Les couples ne feront plus l’amour ou le feront la lumière fermée, honteux de leur corps. Pour certains, la dysmorphie sera à son pic. Ce trouble obsessionnel compulsif se résume par une préoccupation démesurée concernant un défaut de l’apparence physique qui gobe tout l’espace des préoccupations, jusqu’à même créer de l’évitement social.
Un trouble alimentaire, ça ressemble souvent à ça : être isolé dans sa cabane avec ses émotions, sa honte et ne pas avoir les bonnes clés pour ouvrir la porte. Dans une thérapie, on laisse la cabane craquer et la lumière s’infiltrer. On libère des planches pourries, on apprend à exprimer nos besoins et à s’aimer. Ce n’est pas une affaire d’une semaine ou un mois. C’est long.
C’est pour cela que je vous prie de ne pas juger vos enfants, vos proches qui mangent un peu plus que la normale en ce moment, et surtout, vous-même. On a tous besoin d’un peu de douceur et d’affection en ces temps de COVID. On a besoin de partager nos sentiments, de planifier des repas et surtout, de ne pas contrôler ou culpabiliser. Le fait de sauter des repas ou d’allonger les périodes entre ceux-ci pourrait déclencher des actions boulimiques par la suite. Permettez-moi de vous avouer ici que j’ai fait l’expérience d’une rechute dernièrement. Même après un an de thérapie avec une spécialiste, j’ai flanché. Il y a une semaine, j’ai commencé une diète même si je sais que la pire chose est de priver mon corps et mon cerveau d’assez de nutriments pour fonctionner. Et qu’est-ce que ça a donné? Des maux de tête, des palpitations et un beau binge le soir! Pas un gros binge, mais 6 biscuits ingérés dans la honte quand tout le monde était couché parce que l’élastique de ma faim avait lâché. C’est arrivé deux soirs de suite et j’ai eu la preuve que pour moi, restriction = destruction alors je suis revenue à mon traitement des derniers mois.
Comment faire comprendre au corps que « ça va bien aller »?
Selon tous les spécialistes, ce qui peut faire toute la différence dans le traitement d’un trouble alimentaire (et probablement en situation de confinement aussi) est de manger aux trois heures. Trois repas, trois collations par jour, comme quand on était à la petite école. Oui je sais, ça a l’air beaucoup, mais si, comme moi, vous êtes un adulte qui travaillez fort et que vous dormez de 6 à 7 heures maximum par nuit, ça vous fait 18 heures pour étaler parfaitement ça. Déjeuner, collation du matin, dîner, collation de la fin d’après-midi, souper et collation le soir quand c’est nécessaire. Tout cela est pour indiquer au corps que « ça va bien aller ». Qu’il est entre bonnes mains et que vous allez prendre soin de lui. Personnellement, c’est quand j’exécute ce système que mon être se calme, que je mange à ma faim et que je m’arrête quand c’est assez. On appelle ça de l’alimentation intuitive. Je ne suis pas encore pro, mais j’y arrive.
Un trouble alimentaire, c’est du multicouche. Entre l’écriture des paragraphes de ce texte ce matin, j’ai pris des poses. Une première pour manger un tout petit déjeuner, en angoissant de manger des carbs plus tard parce que ma fille, fan de cuisine, était en train d’organiser un gros brunch. Pendant ce temps, mon chum s’est entraîné et j’ai ressenti de la honte de ne pas le faire aussi. Comme si mon devoir de bonne soldate de la forme n’était pas fait. J’ai continué à écrire en me préparant mentalement puis deux heures plus tard, j’ai aidé ma fille sans sourciller, tout sourire, à terminer la cuisson de son super repas. Je vous l’avoue, c’était délicieux. Je l’ai félicitée, elle est vraiment toute une cuisinière! Je ne veux tellement pas lui infliger les mêmes tourments que les miens. J’essaie de dégager une attitude positive envers la nourriture pour elle. Levée de table, j’ai fait le ménage de la cuisine (c’est combien de calories ça?) puis j’ai recommencé à écrire à mon bureau. J’ai senti un coup de chaleur de culpabilité. Je me suis alors habillée pour faire mon exercice et là, je suis torturée entre l’envie de finir ce texte ou d’exercer mon corps. Perdre le momentum de l’un ou de l’autre? Quelle question… Alors je continue un peu à écrire, dans ma brassière de jogging.
Vous l’aurez compris, je suis encore à cheval entre mes anciens réflexes et ma nouvelle vie. Parfois, j’exerce des culbutes et me retrouve dans de fâcheuses positions, mais je retrouve l’équilibre plus facilement. Faut croire que l’expérience sert, même dans ce cas! La meilleure analogie est de penser à la diète comme d’un méchant ancien ex qui n’a rien fait de bon pour nous. Il peut nous arriver de penser à lui ou à elle en nous disant que la relation n’était pas si pire dans le fond et qu’on devrait peut-être recommencer… Mais chaque fois, il faut revenir à la réalité. Il ou elle nous a mal traité, on n’était jamais bien en sa présence et ça nous a fait plus de mal que de bien au final. Oubliez l’effet lune de miel quand l’envie de revenir avec Réjean (Régime) ou Diane (Diète) vous guette. Changez de trottoir et retournez à la maison.
Privilégiez la santé aux dépens de l’esthétisme.
En ces temps de pandémie, c’est la santé mentale qu’il faut préserver, pas notre bedaine. Nous sommes ensemble, unis comme jamais. On a des bras pour enlacer les autres, même à distance. Des jambes pour courir vers tous ceux que l’on aime, dès qu’on le pourra. Des oreilles pour écouter leurs confidences. Une bouche… Pour leur exprimer la beauté de nos êtres et AUSSI pour se nourrir et vivre heureux. Apprenons à se regarder avec des yeux aimants et indulgents pour enfin ensemble, guérir la société de ce mal être.
Dans ma bibliothèque
Ceux qui seraient intéressés à en savoir plus sur l’alimentation intuitive et la santé pour toutes les tailles ont plusieurs bouquins à leur portée. En français, je suggère Ton poids, on s’en balance de la psy et neuropsychologue Catherine Sénécal pour aider à implanter une attitude positive face au corps et à l’alimentation au sein de la famille.
En anglais (on attend la traduction française avec impatience), je propose Anti-Diet de Christy Harrison. La journaliste et nutritionniste américaine a fait une synthèse de toutes les recherches à ce sujet et démontre dans ce bouquin bouleversant à quel point l’industrie des diètes s’est immiscée partout et a même influencé – à défaut – la médecine. Que vous soyez préoccupé par votre poids, ou encore mieux. si vous travaillez dans le milieu de la santé ou de la forme physique, ce livre est un must.
Pour toutes questions sur la boulimie ou l’anorexie, n’hésitez pas à contacter ANEB Québec | Anorexie et boulimie Québec