Il y a quelques semaines, j’ai reçu cette lettre d’une lectrice. J’ai eu envie de vous la partager parce que je suis certaine que sa situation n’est pas unique. Comme elle le dit, écrire son histoire lui a fait du bien alors je me suis dit que la lire pourrait en aider quelques-uns à se sentir moins seuls.
Je suis une mère monoparentale. En fait, pas tout à fait. Pas selon les conventions de la société ni selon les registres officiels. Je suis mariée depuis plusieurs années et j’ai trois enfants. Je suis aussi enseignante à temps plein. Comme plein de femmes dans ma situation, je n’ose parler de ce que je vis à mon entourage. J’imagine que c’est la peur du jugement, mais également la peur de perdre le contrôle que j’ai sur mes émotions et de me laisser aller à un torrent de larmes interminable. Je vous écris aussi parce que j’adore l’écriture qui demeure pour moi la meilleure des thérapies.
Je disais donc que je suis monoparentale. Je suis seule avec les trois enfants et les animaux de la maison. Je suis le pilier de la famille, celle qui tient le fort et qui permet au bateau d’avancer. Je tiens les rames et le bateau en même temps. Mon mari est en dépression majeure depuis longtemps. Après des mois de ce mal de vivre qui hantait sa vie et lui chuchotait à l’oreille d’en finir, il a finalement décidé d’en parler, de se confier. Que de nuits seules j’ai passées pendant qu’il partait se promener pour réfléchir. Combien de soirées à me tourmenter dans mon grand lit vide à me demander où il était, avec qui et pourquoi. Je combattais de graves problèmes de santé seule dans mon coin avec le sourire au visage pour ne pas inquiéter les enfants. Je défendais mon mari en trouvant des excuses pour ses soirées «passées au bureau» pour ne pas que les filles se posent trop de questions.
La dépression affecte non seulement la personne qui la vit, mais sa famille également. Avoir la peur constante que l’autre ne revienne pas le soir parce qu’il veut s’enlever la vie, être seule avec toutes les tâches ménagères, les lifts aux enfants et leurs activités, les promenades du chien, sortir les vidanges, le compostage, le bac de recyclage, faire le lavage, la vaisselle, les lunchs, les repas, l’épicerie et tout le reste avec un emploi à temps plein. La maison est propre en tout temps, les enfants ont un souper chaud fraichement préparé tous les soirs et de bons lunchs santé tous les jours. Je suis présente pour les écouter. J’aide avec les devoirs, les leçons, les projets. Je les encourage à continuer pour qu’elles puissent plus tard s’autosuffirent, car on ne sait pas ce que la vie nous réserve. Je n’aurais jamais cru avoir ce genre de vie à 40 ans. Je n’aurais jamais cru être si près de l’épuisement dans la fleur de l’âge…
Mon mari est maintenant médicamenté, mais le problème ne se règle pas. J’avoue que des fois, je le déteste de me faire vivre cet enfer. Le stress constant qu’il me cause, la fatigue extrême de devoir tout faire seule, mes problèmes de santé qui ne sont pas réglés et qui empirent… Tout ça devient tellement difficile à gérer. Le voir rentrer du travail et aller se coucher jusqu’au lendemain pendant que je travaille fort, ou apprendre par texto qu’il passera la semaine chez un ami pour réfléchir sans que j’aie mon mot à dire. Je me dis qu’en étant séparée officiellement, j’aurais au moins une semaine sur deux de pause. Serait-ce une vraie pause sachant qu’il est en dépression majeure, seul avec les trois personnes les plus importantes au monde pour moi? Je ne veux pas l’abandonner, mais quelque part, c’est lui qui nous a abandonnées. Je ne sais plus quoi faire, car l’énergie commence à me manquer. J’ai beau m’entraîner tous les jours, ça n’aide pas. Le seul point positif est que je perds beaucoup de poids!
Donc, je suis monoparentale à temps plein. Pas selon les registres officiels ni les conventions de la société, mais selon mon cœur oui. Je nage en pleine solitude contre une immense tempête, le vent dans le visage et les trois filles dans mon sac à dos.
Pour en savoir davantage sur le TDP:
cestquoiletdp.ca
L’homme dont il est question dans ce texte souffre peut-être de TDP, de trouble dépressif persistant qui se caractérise par une humeur déprimée la plupart du temps, pendant plus de 2 ans. Peu connue, cette maladie toucherait 6% des adultes canadiens.
Les symptômes comprennent une faible estime de soi, une baisse d’énergie, une perte d’appétit, des difficultés de concentration et un sentiment de désespoir. À noter: les symptômes sont généralement moins sévères que ceux de la dépression majeure et les gens souffrant de TDP peuvent continuer d’être fonctionnels alors leur état passe souvent inaperçu.