Je fais rarement ceci, mais j’ai eu envie de faire traduire un texte que ma belle-fille Kaia m’a envoyé dernièrement et qui m’a tant touchée. Il est paru dans l’excellente section Healthyish du magazine Bon Appétit et est écrit par Julia Thurshen, une chef, écrivaine et animatrice de balado. Elle y raconte les sentiments négatifs qu’elle a nourris envers son corps pendant de nombreuses années et le triste constat qu’elle a fait (et qu’elle a reçu comme un jet d’eau froide dans le visage) celui qu’elle ne s’était sentie que de deux façons dans sa vie: heureuse OU grosse. Voici le lien du magazine pour lire l’article original en anglais. On se revoit à la fin pour partager nos impressions?
J’ai eu le privilège d’écrire un livre sur la cuisine réconfortante et santé. Comme je vous parle de tout ce que vous pouvez cuisiner pour nourrir votre corps, je crois qu’il est important que je sois honnête au sujet des sentiments que j’éprouve envers le mien. Il est important aussi de mentionner que ces sentiments évoluent.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé la nourriture et j’ai toujours eu une relation conflictuelle avec elle. Il y a quelques années, cela m’a frappée à quel point j’avais dépensé de l’énergie à me sentir mal, surtout relativement à mon corps. J’étais vraiment attristée. J’ai donc décidé de commencer à défaire le nœud, mais je savais qu’il ne se démêlerait pas magiquement juste parce que je le souhaitais. J’avais besoin d’aide.
Quelle forme cette aide a-t-elle prise? De multiples formes. J’ai abordé les points difficiles en thérapie. J’ai arrêté de suivre certaines personnes sur les médias sociaux et commencé à en suivre d’autres qui se sont libérées avant moi de la culture des régimes. J’ai fait des recherches sur cette culture. J’ai lu des livres et écouté des balados sur l’alimentation intuitive, la honte et la vulnérabilité. Je me suis mise à parler plus ouvertement avec mes amis proches de leur relation avec leur corps. J’ai parlé ouvertement avec ma mère de la façon dont cela m’a affectée de la voir ne pas traiter son corps avec gentillesse. J’ai arrêté (j’essaie d’arrêter) de demander à ma femme Grace de me rassurer sur mon apparence. J’ai caché le pèse-personne dans un garde-robe et quand j’ai été prête, je l’ai jeté.
J’ai eu quelques révélations en cours de route. L’une d’entre elles eut lieu après que j’eus regardé La matrice, un film suggéré à plusieurs reprises par Grace. Le long métrage m’a fourni le cadre le plus utile pour réfléchir à la culture des régimes. Lorsque j’y pense maintenant, une culture qui priorise la minceur et nous pousse à nous comparer aux autres afin que nous soyons isolés, ça ne doit pas être vraiment réel.
J’ai eu une autre illumination lorsque j’ai réalisé que j’avais limité la gamme de mes émotions à seulement deux options. Cela m’a fait l’effet d’une douche froide. Je ne m’étais sentie que de deux façons dans ma vie : heureuse ou grosse. Je me rappelle avoir eu l’impression que l’on venait d’allumer la lumière dans une pièce sombre. Je venais de mettre le doigt sur quelque chose.
Pendant si longtemps, lorsque je me trouvais grosse ou ce que je jugeais être grosse, c’était comme une façon pour moi de me sentir tout sauf heureuse. Non seulement j’avais associé « grosse » à « tout sauf heureuse », mais j’avais restreint la gamme de mes sentiments à deux petites options.
Comment en étais-je venue à restreindre mes émotions? Par le même chemin que d’autres ont emprunté avant moi. J’ai hérité de problèmes d’image corporelle et de poids. J’ai intériorisé l’intimidation que j’ai vécue étant plus jeune alors qu’on me disait constamment que j’étais grosse comme une insulte. Quoi d’autre? J’ai accepté d’emblée que la minceur soit l’idéal et j’ai côtoyé des gens qui n’ont pas remis cette idée en question. J’ai écouté les médecins me dire que j’étais en surpoids selon leurs tableaux que je n’ai jamais mis en doute et je n’ai pas poussé l’interrogatoire lorsqu’ils m’ont dit que mes tests sanguins étaient beaux, mais que je devais tout de même perdre du poids. Je ne leur ai pas demandé pourquoi. J’ai baissé la tête.
Alors comment ai-je commencé à m’en sortir? J’ai commencé à croire ma femme quand elle me disait qu’il y avait une partie de ma vie qui ne tournait pas autour des sentiments négatifs que j’entretenais envers mon corps. J’ai commencé à changer les gens à qui je parlais, que je regardais et que j’écoutais. J’ai suivi l’argent et me suis interrogée sur tous les programmes et les gens qui me disaient que ma vie serait tellement mieux si je faisais cette chose qu’ils me vendaient. J’ai réalisé qu’ils restaient riches si je restais désespérée. J’ai commencé à creuser toutes les choses qui faisaient que je ne me sentais pas heureuse. J’ai commencé à évaluer comment je mesurais le bonheur. J’ai appris que plusieurs baromètres existent et que certains sont plus aimants. J’ai fait un effort pour arrêter de dire « should » (je me suis même fait tatouer le mot should barré sur le bras). J’ai arrêté de considérer que « grosse » était synonyme de « pas correct ». J’ai regardé à de nombreuses reprises l’épisode Fat Babe Pool Party de Shrill à la télévision et je suis passée des larmes au sourire.
J’ai commencé à m’observer. Je me suis acheté une affiche qui liste une tonne d’émotions et illustre le visage que chacune représente, comme celles que l’on retrouve dans les classes des petits. Je me suis obligée à regarder l’affiche, à me demander comment je me sentais et à quelle émotion ce sentiment était relié.
Plus je comprenais la gamme de mes émotions, plus je les ressentais et plus j’apprenais à me connaître. Je suis la personne la plus imparfaite, ridicule et compliquée que je connaisse. Je fais beaucoup d’erreurs. Je me bute à plein de choses tout le temps, au sens propre comme au sens figuré. J’ai réécrit cet essai au moins une douzaine de fois. Et c’est tout à fait correct.
Tout comme je cuisine chaque jour, je travaille à ressentir mes sentiments au quotidien. Parfois, c’est vraiment difficile. Chaque fois, je sors volontairement du cadre auquel je suis si habituée et je découvre des sentiments comme la douleur, la colère, la gêne et la peur. Ils entrent tous dans la catégorie « tout sauf heureuse ». Mais je ressens aussi plus d’amour, de joie, de confiance et de satisfaction que je le croyais possible. J’apprends comment on se sent lorsqu’on n’accepte pas simplement son corps au minimum, mais que l’on comprend que celui-ci n’est pas un problème. J’apprends à l’aimer et je comprends que peu importe l’espace qu’il occupe dans notre monde, il vaut la peine et je suis heureuse de vivre dedans.
Ça ne devrait pas être perçu comme révolutionnaire de dire qu’être en surpoids n’est pas synonyme de mauvais ou d’indésirable, surtout lorsque cela vient de la bouche d’une autrice de livres de recette santé. Mais cela vaut la peine de le dire. Il n’y a rien de mal à être gros. Ce qui est mal, c’est de croire que n’importe quelle personne vivant dans n’importe quel type de corps a moins de valeur qu’une autre.