Lorsque la journaliste Liz Plank était enfant, elle s’entourait de singes en peluche et s’imaginait qu’elle était Jane Goodall. Son père avait une façon bien particulière de montrer son affection : il cuisinait des gaufres et il s’assurait qu’il y en ait toujours à la maison à un point tel que pour Liz, les gaufres sont ordinaires alors que pour la plupart d’entre nous, elles sont un déjeuner des jours de fête. La mère de Liz était une fervente féministe, mais la journaliste a d’abord rejeté les idéaux de celle-ci.
« Mes deux parents m’ont légué leur soif de la justice. Ma mère était une grande féministe. J’ai résisté à son influence un certain temps. La dernière chose que l’on veut quand on est adolescent, c’est de ressembler à sa mère. Et puis tu grandis et tu réalises que tu es exactement comme ta mère. »
Que se passe-t-il lorsqu’on a un appétit insatiable pour l’anthropologie, un grand amour pour son papa et un objectif de vie inspiré par sa maman? Ajoutez à cela des racines canadiennes et vous obtenez une éternelle optimiste prête à passer quatre ans à écrire et à faire des recherches chaque jour pour publier le livre qui pourrait changer le monde.
Son nouveau et audacieux For the Love of Men: A New Vision for Mindful Masculinity nous plonge dans ce qui est pour Liz la plus grande menace pour l’humanité : les idéaux toxiques sur la masculinité. Vous pourriez questionner à savoir si ça ne serait pas plutôt les changements climatiques (ou les virus comme le coronavirus), mais comme l’explique Liz, l’un des symptômes de ces idéaux toxiques est l’écart entre les sexes relativement au recyclage.
« Les changements climatiques sont un problème très genré. Les hommes et les femmes y font face différemment. Ce n’est pas parce que les hommes sont moins génétiquement prédisposés à recycler ou à s’inquiéter que la planète implose ou encore, qu’ils sont moins portés à comprendre les faits relativement aux changements climatiques. Ils sont tout simplement élevés de façon à moins s’en faire à ce sujet parce que dans notre société, on considère que l’inquiétude face aux changements climatiques, le recyclage et le fait de traîner des sacs (réutilisables) comme étant typiquement féminin et non comme faisant partie de ces idéaux de la masculinité que nous avons. »
Pour inciter les hommes à parler de féminisme et à casser les mythes nuisibles au sujet de la construction des genres associée au sexe, Liz s’est concentrée sur ce qu’elle appelle la « masculinité idéalisée ». Le rôle des femmes a évolué au fil du temps, mais celui des hommes a stagné jusqu’à présent. Son livre est un guide pour aider les hommes à réévaluer leur genre ou comme elle le dit « à faire un ménage à la Marie Kondo de leur genre. »
Liz Plank a été invitée à discuter des genres dans le cadre du balado Armchair Expert de Dax Shepard.
« Si tu ne vois pas ton genre, tu ne vois pas la façon dont il t’a façonné. Le risque est grand pour les femmes, mais aussi pour les hommes. Ceux-ci sont plus susceptibles de se suicider, de décrocher de l’école, d’être violents et d’être isolés que les femmes. S’ils ne parlent pas de la façon dont le patriarcat et les principes de la masculinité ont façonné leurs comportements et leur attitude, comment peuvent-ils commencer à changer? Nous risquons d’avoir une société dans laquelle les gens ne sont pas vraiment libres d’être eux-mêmes. »
Lorsque Liz a questionné la centaine d’hommes qu’elle a interviewés au sujet de leur genre, elle a réalisé que beaucoup d’entre eux n’y avaient même jamais pensé. Après avoir approfondi la question, elle a découvert que le fait pour les hommes de ne pas vivre une masculinité idéalisée pousse à la honte et ce, en partie parce que la masculinité doit être constamment prouvée et que cela est douloureux.
« C’est le coeur de cette conversation. C’est la partie sur laquelle j’ai reçu le plus de commentaires d’hommes me disant que j’ai été capable de mettre des mots sur un sentiment qu’ils ont vécu toute leur vie, celui qu’il y a un écart entre comment ils se sentent et comment ils pensent qu’ils devraient se sentir. Cet écart peut être un lourd fardeau et la honte est réelle. Il faut comprendre que chacun vit des souffrances, peu importe son genre. Les souffrances ne devraient jamais être hiérarchisées. Être à l’écoute et empathique est un bon point de départ. C’est tellement important, mais c’est considéré comme de la faiblesse. Cela est misogyne. On considère que les femmes ont cette faculté et c’est peut-être pourquoi nous le nions/rejetons. Mais je crois que l’empathie est ce qu’il y a de plus difficile. Ainsi présenté, cela pourrait inciter les gens à relever le défi d’être empathiques lorsqu’ils ont cette conversation. »
Les éditeurs étaient sceptiques quant au fait que les hommes allaient lire le livre, mais il celui-ci déjà en réimpression après que les premiers 2 000 exemplaires se soient écoulés rapidement, achetés tant par des hommes que des femmes. Après avoir discuté avec autant d’hommes, Liz savait qu’elle tenait quelque chose de nouveau et que les hommes étaient prêts à parler. La rumeur court au sujet d’une crise de la masculinité et Brad Pitt lui-même fait la promotion d’une redéfinition de la masculinité. La conversation est ouverte, mais comme le mentionne Liz, ce n’est pas suffisant.
« Si la masculinité idéalisée était une religion, tout le monde s’inquiéterait à son sujet. On en parlerait sur la page couverture de tous les journaux parce que c’est à la base de tellement de problèmes qui semblent insurmontables. »
« Grâce aux conversations que j’ai eues avec beaucoup d’hommes, je savais qu’il y avait quelque chose dont ils ne discutaient pas ouvertement. C’est comme s’ils devaient avoir la permission pour en parler. Je crois que beaucoup de gens étaient sceptiques. Pourquoi des hommes voudraient-ils parler de genre? Parce que lorsqu’on parle de genre, on pense que cela s’applique aux femmes et on oublie que c’est la première chose qui nous définit à la naissance. La première question que nous posons, c’est est-ce une fille ou un garçon? Et cela déterminera déjà vos interactions avec le monde. Être une fille signifie beaucoup de choses, par exemple quels vêtements et jouets vous seront offerts ou pas. Même chose pour les garçons. Il y a des règles, des normes et des rôles attribués aux hommes dans notre société. Nous devons parler des rôles qui sont attribués qui aux filles, mais il est tout aussi important de parler de ceux attribués aux hommes et aux garçons.”
Liz croit qu’il faut enseigner l’intelligence émotionnelle à l’école.
« Les gens doivent apprendre comment gérer leurs émotions et comment guérir. Ils doivent apprendre à transformer leur souffrance plutôt qu’à la transférer. Je trouve déplorable que nous mettons tant d’efforts à développer l’intelligence émotionnelle des filles, mais pas celle des garçons. On apprend aux filles à être axées sur la communauté, à collaborer. Nous leur donnons des poupées. Nous leur offrons une grande variété de jouets qui leur permettent de développer de nombreuses aptitudes. Nous nous attendons à ce que les filles s’intéressent aux autres et qu’elles fassent preuve de compassion et d’empathie envers eux. Aux garçons, ont dit que les garçons ne pleurent pas. Pleurer est une façon de gérer ses émotions sans les transférer à quelqu’un d’autre. Laissez couler l’émotion, ne la retenez pas afin qu’elle ne vous handicape pas pour le reste de votre vie. Lorsque les garçons expriment correctement leurs émotions, on s’inquiète, on se demande si quelque chose ne va pas avec eux. C’est beaucoup de honte qu’ils portent en eux et ce, depuis longtemps. Je ne crois pas qu’on réalise que la façon dont nous élevons les garçons a créé beaucoup de traumatismes pour beaucoup d’hommes. Si nous ne leur donnons pas un moyen d’exprimer leurs émotions et de les canaliser, cela crée beaucoup de problèmes. Et tous les problèmes deviennent des problèmes interpersonnels. »
« Lorsque j’ai parlé aux femmes, elles m’ont révélé que la plupart des inquiétudes et des problèmes au sein de leur couple et les principales causes de séparation et de divorce étaient liés au manque de compréhension de l’état émotionnel de l’autre. Ou encore au manque d’empathie relativement à l’état émotionnel du partenaire. Dans le livre, je parle d’une recherche qui indique le l’indicateur numéro un du succès d’une relation est si l’homme fait un travail émotionnel. L’expert en relations John Gottman avance que le point principal qui revient toujours dans sa recherche, c’est le fait d’accepter l’influence de sa femme. Selon les idéaux toxiques, cela vous rend mauviette alors qu’en fait, transgresser la masculinité pourrait leur apporter plus de sexe! »
« J’adorerais voir les hommes relever le défi de changer notre définition de la masculinité. Je crois que seuls les hommes peuvent le faire. Je suis emballée qu’ils entament le travail émotionnel. Depuis toujours, ce sont les femmes qui se battent pour l’égalité des genres et il faut que les hommes embarquent dans ce mouvement. Il faut que ce soit attirant pour eux. On ne doit pas leur mentir, mais leur dire la vérité soit que le patriarcat blesse tout le monde. »
La COVID-19, le féminisme et les hommes
Selon Liz, ce confinement « met en lumière chacune des injustices et structures de notre société et tous les problèmes sociaux, du racisme au sexisme, en passant par l’inégalité quant aux soins de santé, aux tâches domestiques et aux soins des enfants. De plusieurs façons, nous avons un très gros rappel des structures de pouvoir qui opèrent dans notre société. »
« Je crois que c’est une période très difficile pour beaucoup de femmes. Pour beaucoup de gens en fait qui sont parents à la maison, monoparentaux, qui travaillent de la maison et qui font aussi l’école aux enfants. Ils ont vraiment toute mon admiration! Malheureusement, en raison de la façon dont notre société est structurée, la majorité de ces personnes sont des femmes. Les femmes sont plus susceptibles d’être monoparentales, de vivre dans la pauvreté et d’avoir un emplois moins payant. C’est le cas aux États-Unis et probablement au Canada aussi : la majorité des employés de service et beaucoup d’employés des service essentiels sont des femmes. Elles travaillent dans les épiceries et les pharmacies. Elles sont infirmières et médecins aussi. On réalise vraiment à quel point la société repose sur les femmes et sur les personnes de couleur. Ceux qui occupent des emplois qui devraient offrir deux ou trois fois le salaire actuel. »
« En ce qui a trait aux hommes, je crois que beaucoup de femmes disent qu’ils ont plongé dans leur réalité et pris un moment pour réaliser la charge de travail que représente réellement le fait de s’occuper d’une famille et d’avoir un emploi à temps plein, de travailler de la maison ou encore de ne pas travailler, mais de devoir gérer la totalité de la responsabilité de la famille que ce soit de nourrir les enfants, de les divertir ou encore de s’assurer que la maison est propre. Toutes ces tâches domestiques que nous minimisons en tant que société, que nous jugeons non productives se sont enracinés dans nos principes économiques comme étant du travail non productif qui n’est pas comptabilisé dans notre économie. J’espère que beaucoup de gens, et souhaitons-le beaucoup d’hommes, réaliseront que ce type de travail est crucial et très difficile. »
En tirerons-nous quelque chose de positif?
« Je ne peux pas prédire le futur. Une autre leçon que nous pouvons tirer, c’est que nous avons très peu de contrôle sur ce qui arrivera et une très faible capacité à deviner ce qui va se produire. J’espère que cela ouvrira plus de conversations et amènera des façons de communiquer plus profondément ensemble, avec nos partenaires. Nous ne sommes pas habitués à passer autant de temps ensemble. Nous passons généralement plus de temps avec nos collègues qu’avec notre partenaire. Mais avec tout ce temps de confinement, et tout ce qui nous a été enlevé, je crois que c’est une excellente occasion de se poser des questions, de parler de sujets qui n’auraient pas été amenés sur le tapis autrement. J’espère que les hommes apprécieront le travail que les femmes font dans leur relation et à la maison. Dans le meilleur des cas, ils ne feront pas qu’apprécier, mais ils changeront la dynamique ou la proportion actuelle du fardeau qui repose sur les femmes. Ils changeront leur comportement, leur attitude et réorganiseront leur vie afin d’être de meilleurs partenaires et d’être plus connectés à leur maison, à leur famille et à leurs enfants. »
« Il y aura assurément plus de conflits. Les couples qui ne sont pas en situation de danger ou d’abus auront plus de conversations et en sortiront grandis. Mais pour les gens qui sont malheureusement dans une situation plus difficile, l’abus est souvent pire et la croissance n’est pas possible. Il y aura des gens qui réaliseront que leur partenaire n’a jamais été le bon pour eux. Le confinement leur fait réaliser qu’ils peuvent partir et qu’ils n’ont pas à endurer que qu’ils ont enduré avant. Avant, il y avait un million de distractions et de raisons de ne pas y réfléchir. C’est pour cela que l’on voit circuler des images de bureaux d’avocats en droit de la famille ayant une file devant leur bureau. Beaucoup de couples réalisent que ça ne fonctionne pas et qu’il y a d’autres options. Les gens comprennent qu’ils peuvent s’aimer eux-mêmes plus que le fait d’être en relation avec une personne qui ne leur convient pas.”
Quelques conseils pour mieux communiquer avec votre partenaire
- Écoutez activement : « Je ne suis pas une spécialiste des relations, mais je crois que l’écoute active est un très bon exercice à faire en ce moment. Il s’agit d’une technique utile qui consiste à répéter à votre partenaire ce qu’il vous a dit avant de lui dire comment vous vous sentez ou ce que vous voulez. Par exemple: Ce que j’entends, c’est que tu es fâchée parce que tu as fait le souper tous les soirs et que je n’ai pas été disponible pour t’aider. Votre partenaire peut ensuite répondre Oui. Ou Non, ce que je dis, c’est… Il faut plus de temps pour venir à bout d’une chicane, mais globalement, c’est une meilleure utilisation de votre temps. »
- Parlez au je: « Être direct est la meilleure façon de s’aimer. Dans la vie de tous les jours, vous courrez. Faire un commentaire sarcastique avant de sortir est plus facile que de dire Ouch, cela me blesse vraiment. Commencez avec je et dites, Lorsque tu dis cela, je me sens comme cela. Ainsi vous ne leur assignez pas d’intention. Vous êtes responsables de vos sentiments donc vous êtes responsable d’en parler et de communiquer leurs limites. Par définition, les limites doivent être communiquées pour exister. Si vous avez plus de temps, utilisez-le pour communiquer efficacement vos besoins à votre partenaire. Donnez-lui et une véritable occasion d’entendre et de comprendre vos besoins et de décider comment il peut y répondre. »
- Ne supposez pas le pire: « On oublie souvent de conférer à notre partenaire la meilleure des intentions. Nous supposons une intention négative à un comportement sans connaitre vraiment l’intention derrière. Nous disons Il n’a pas ramassé la nourriture, car il se fiche de moi. On va directement vers l’intention négative alors qu’en fait, ce n’est peut-être pas le cas. Il ou elle a peut-être en tête quelque chose qui le fâche. Vous ne pouvez pas savoir avant d’avoir demandé. Entamez une conversation, pas une confrontation, en songeant que vous êtes dans la même équipe. Si vous voulez passer plus de temps que juste le confinement avec votre partenaire et que vous ne voulez pas être dans la file devant le bureau de l’avocat en droit de la famille, dites-vous que si un partenaire a un problème, le couple a un problème. Et demandez-cous comment vous pouvez le pouvons régler ensemble. »
Vous pouvez commander le livre en version anglaise ici.