Cinq ans ont passé depuis que j’ai publié ce texte. Je commençais en disant qu’il y a des choses dont on préférerait ne pas se rappeler et j’y crois encore aujourd’hui. Aujourd’hui, j’ai envie de vous dire que c’est tellement rassurant et inspirant de voir qu’il est possible de se remettre d’aussi difficiles défis.
Il y a des choses dont on préfèrerait ne pas se rappeler, mais à la veille du temps des Fêtes et de la nouvelle année, il est bon de faire un bilan. Mon année 2017 aura été marquée par l’arrivée de la maladie dans notre famille. Notre noyau a eu le cœur écrapou pendant des mois. Notre maman, si forte, a dû subir une opération délicate. Nous l’avons su au printemps, avons passé une semaine ensemble en vacances cet été avec les enfants, puis avons mis notre vie sur pause. Après des mois d’attente, la date d’opération est arrivée à la rentrée. Comme un voyage, une intervention chirurgicale se planifie, mais ne peut être vécue avant d’avoir les pieds sur le terrain. La valise était prête et l’horaire des visites postopératoires organisé au quart de tour grâce à un texto de groupe sur lequel mes sœurs, oncles, tantes et moi échangions constamment.
Même bien préparés, nous ne nous doutions pas que cette opération serait un traumatisme, un cauchemar de douleur désarmant qui jette à terre le plus résistant des adultes. J’ai vu mon être humain préféré sur la terre fondre à vue d’œil, ne plus avoir la force de s’asseoir ou de manger une cuillère de bouillon. Ma petite géante, pour la première fois de sa vie, se laissait porter par les siens. Nous devions la motiver, lui infuser de l’énergie pour qu’elle fasse le moindre geste. J’ai bercé ma maman. Je lui ai brossé les cheveux. J’ai attendu, dormi à côté de son lit d’hôpital sur une chaise et suffoqué de penser que je ne la reverrais plus comme avant. Le choc avait atteint la source de son courage, de sa détermination. IMPOSSIBLE à imaginer pour celle qui a été un pilier: l’ainée de ses 11 frères et sœurs, puis l’ancre de ses trois filles. Mes sœurs et moi avons eu le privilège d’être la priorité de notre maman. Quand nous lui étions redevables au centuple, elle nous répétait: «pas grave, vous prendrez soin de moi quand je serai vieille». Elle ne sera jamais vieille à nos yeux, mais le jour était arrivé où nous devions prendre le flambeau.
J’ai toujours su que ma maman viendrait vivre avec moi à la maison un jour (ce qu’elle faisait déjà quand mes filles étaient jeunes et qu’elle venait nous aider tous les week-ends). Je l’avais imaginée un jour vieillissante, avec une canne peut-être, mais avec toute sa candeur et sa motivation. La réalité fut autre chose. Pendant quelques semaines, je ne reconnaissais pas celle que j’avais devant moi. J’ai pleuré son état, et notre système de santé. Comment font-ils, les autres? Les aidants naturels qui n’ont pas la chance d’avoir une famille nombreuse et unie pour tenir le fort? Ceux qui n’ont pas le privilège, comme moi, d’avoir une gardienne à la maison qui prend le relais le temps que j’aille au travail? J’ai pensé fort fort aux mères monoparentales qui se retrouvent du jour au lendemain seules avec une maman ou un papa à soutenir et qui doivent laisser leur boulot. J’ai pleuré en pensant aux gens malades qui se retrouvent seuls dans un appartement ou un CHSLD. Cette détresse n’épargne personne.
Heureusement, les batteries de vie de ma maman Yuki sont passées de 30% après l’opération à 60, 70, 85 et enfin à 100% après quelques mois. Elle est retournée vivre chez elle, comme une grande, même si j’aurais aimé qu’elle reste avec moi encore. Grâce à Yuki, je pourrai toujours dire que j’aurai vu un être humain se refaire. Même à 75 ans, après un bouleversement physique et psychologique, un corps —et une tête — peuvent régénérer leurs précieuses cellules.
Pendant cette période de tourment, j’ai rencontré des êtres d’exception à l’Hôpital Saint-Luc (juste avant le déménagement au CHUM) qui infusaient de la joie de vivre dans un espace où la souffrance est reine. Ils m’ont confirmé, comme je m’en doutais, que les proches participent activement au rétablissement d’un malade. Une main qui déplace un oreiller, un bisou sur le front font ici toute la différence du monde. En étant présents auprès d’un être cher, nous faisons partie de l’équation de sa santé globale.
Enfin, en ce mois de décembre, la douleur et la souffrance sont derrière nous. Ouf! Ai-je besoin de vous dire que pendant cette période de choc, nous avons toutes, mes sœurs et moi, pété notre coche de fatigue et de découragement? Nous avons par contre bénéficié du soutien de notre filet familial. C’est ce filet invisible qu’il faut reconnaître, tisser et solidifier pendant la période des Fêtes. Nous prendrons ma famille et moi un moment pour nous souvenir du temps où notre cœur conjoint s’est arrêté de battre et aurons une pensée pour les êtres qui souffrent et ceux qui en ont soin. Si vous passez Noël dans une chambre d’hôpital, à soulever une cuillère de bouillon pour un être cher, sachez que vous lui faites le plus beau et le plus essentiel des cadeaux, celui de l’amour.
Santé, bonheur, et amour.
Joyeuses Fêtes!