Il y a un an, sur la plage d’Oka, j’ai publié ma première photo torse nu sur Instagram. Pour beaucoup, cela pourrait sembler un geste anodin. Mais pour moi, c’était un acte décisif, un défi lancé à mes propres insécurités face à un univers numérique souvent plus toxique que valorisant.
Avant ce moment, mon rapport à mon corps était marqué par l’incertitude et la frustration. Comme beaucoup, je me perdais dans les comparaisons incessantes avec les corps idéalisés que l’on voit défiler sur nos fils d’actualité. Des torses sculptés, des visages lisses, souvent retouchés — je le savais, mais cela ne changeait rien. Ces images me laissaient un goût amer d’infériorité, déformant ma perception de moi-même et me plongeant dans un cercle vicieux d’insatisfaction.
Puis ce jour-là, sur la plage, un déclic s’est produit. Une impulsion soudaine m’a poussé à franchir cette barrière invisible et à me montrer tel que j’étais. Contre toute attente, les réactions ont été immédiates. Likes et commentaires flatteurs ont envahi mon écran. D’un coup, ce corps que je cachais sous des t-shirts amples devenait l’objet d’appréciations virtuelles. C’était grisant. Mais rapidement, cette sensation a commencé à avoir un arrière-goût étrange, comme une addiction qui en appelait toujours plus.
C’est là que j’ai commencé à me perdre. Les photos se sont faites plus audacieuses, plus suggestives. Je me dévoilais avec une audace impensable quelques mois auparavant. Ce qui avait commencé comme une simple publication prenait des allures de performance. Je me montrais sous des angles flatteurs, avec une seule idée en tête: susciter encore plus de réactions.
Je m’entraînais davantage, non pas pour ma santé, mais pour améliorer l’image que je projetais en ligne. C’était comme une montée d’adrénaline, un jeu dangereux où le corps devenait une monnaie d’échange. Chaque muscle, chaque courbe devenait un capital à investir dans le marché des likes.
Je passais des heures à choisir les angles parfaits et à retoucher mes photos, pensant que chaque détail pouvait maximiser les réactions. Ma confiance était alors fragile, et cette validation extérieure semblait déterminer mon estime de soi. Lorsque je n’obtenais pas le nombre de likes désiré, je me remettais en question. Cette obsession m’éloignait peu à peu de la réalité, me faisant oublier pourquoi j’avais commencé à publier en premier lieu.
Jusqu’au jour où…
Puis, j’ai poussé le jeu jusqu’au bout. J’ai publié des photos de moi nu sur X et en story sur Instagram. Et là, je me disais que c’était preuve ultime que j’étais enfin à l’aise dans ma peau. Mais la vérité était tout autre. Je n’affichais pas mon corps par amour pour lui; je le montrais parce que j’avais besoin que les autres l’aiment à ma place. Je cherchais une reconnaissance qui compensait ce que je ne pouvais pas m’accorder moi-même.
Un matin, après avoir reçu encore une fois ces commentaires habituels, j’ai ressenti un vide. Un vide que les likes ne pouvaient pas combler. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre ce qui se passait. Toute cette validation extérieure, aussi plaisante soit-elle, ne touchait jamais vraiment ce qui comptait. Elle ne réparait rien. Je m’étais lancé dans une course sans fin, cherchant une approbation qui ne pouvait jamais être suffisante. Et pire, cette quête m’éloignait chaque jour un peu plus de moi-même.
Les réseaux sociaux transforment l’approbation en capital social. Chaque publication devient un produit à évaluer, chaque réaction une sorte de monnaie. On finit par mesurer sa valeur à travers ce prisme trompeur. Je m’étais laissé piéger, cherchant sans cesse plus d’attention à chaque publication. Cette quête de reconnaissance nous pousse à jouer un rôle, à performer pour les autres, sans jamais véritablement répondre à nos propres insécurités.
La pression de l’apparence, déjà omniprésente dans la société, est exacerbée en ligne. Les normes de beauté, de charisme, et de forme physique ne sont plus seulement des idéaux – elles deviennent des standards impossibles à atteindre sans sacrifier une part de soi-même. Le corps devient alors un produit à exhiber, une façade destinée à attirer l’approbation des autres. Mais à quel prix maintient-on cette façade?
Pourtant, dans ma vie quotidienne, je ne manquais pas d’amour. J’étais entouré de personnes qui m’aimaient pour ce que j’étais vraiment. La validation en ligne avait pris le dessus, car elle était plus rapide, plus immédiate, et me donnait l’illusion d’une reconnaissance que je ne parvenais pas à trouver en moi-même.
Aujourd’hui, je publie encore, mais avec une intention différente. Ce besoin compulsif de validation s’est estompé. C’est un travail quotidien, un équilibre à trouver. Ne plus se définir à travers le regard des autres, mais enfin être en paix avec celui que l’on pose sur soi-même. Je me regarde dans le miroir et j’apprends à aimer ce que je vois, non pas parce que cela correspond à un idéal de beauté, mais parce que c’est moi. Juste moi, sans les artifices ni les attentes des autres.
Ce parcours, loin d’être unique, touche de nombreuses personnes prises dans cette spirale de l’apparence et de la reconnaissance instantanée. Mais la véritable libération vient de cette prise de conscience : aucune validation extérieure ne remplacera jamais la valeur que l’on se donne à soi-même. Se détacher de cette quête infinie d’approbation est sans doute l’acte d’affirmation le plus puissant que l’on puisse accomplir.