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Un studio Gratien-Gélinas en l’honneur de mon grand-père

Mon grand-papa est considéré comme le père du théâtre québécois. Ce que les gens connaissent moins, c’est son apport au cinéma d’ici. En effet, il est celui qui a dirigé le premier court métrage couleur parlant au Canada, La Dame aux camélias, la vraie, en 1943, avant de proposer dix ans plus tard le premier film canadien-français d’un propos contemporain, Tit-Coq.

En son honneur, le Groupe Dazmo, fondé par Iohann Martin, Andrew Lapierre, Paul Hurteau et moi-même, annonce aujourd’hui que l’un des espaces du complexe de Grandé Studios sera nommé Studio Gratien-Gélinas. L’espace d’une superficie de 14 000 pieds carrés situé à Pointe-Saint-Charles accueillera tant des productions cinématographiques que télévisuelles, d’ici et d’ailleurs. En direct de l’univers s’y installera en permanence à compter du 12 janvier prochain.  

Un grand-père mythique… et innovateur!

Tournage d’une publicité à Hollywood, 1936.

Pour des générations d’amateurs, Gratien représente l’essence des racines théâtrales québécoises. Mais quand on s’y penche un plus près, on découvre des trésors d’histoires qui démontrent que le talent cinématographique au Québec ne date pas d’hier et que le travail de Gratien Gélinas y est intimement lié. Depuis ses balbutiements, lorsqu’il a fondé les premiers studios de cinéma au Québec coin Saint-Denis et Sainte-Catherine au début des années 1940, jusqu’à la fin, alors qu’il est devenu président du conseil d’administration de la Société de développement de l’industrie du cinéma canadien (l’ancêtre de Téléfilm Canada), Gratien aura collaboré tout au long de sa carrière à l’essor du septième art au Canada.

Un studio Grandé pour un géant de l’histoire des arts au pays

Décédé en 1999, Gratien Gélinas fut un créateur fascinant par sa complexité et sa profonde humanité et figure parmi les géants de l’histoire des arts au pays. Mon grand-père a joué un rôle important comme cinéaste, mais également pour autre chose: les films de famille qu’il a faits dans les années 1940 et 1950. Il était un documentariste très bien outillé pour l’époque. Ce sont des témoignages de la vie d’alors qui méritent de figurer dans son CV de cinéaste. Quelques-unes de ces archives se retrouvent d’ailleurs dans le documentaire réalisé par son plus jeune fils, Pascal Gélinas, Le géant aux pieds d’argile, produit par InformAction.

En ce début 2019, nous voulions rendre hommage à un pionnier de l’industrie du septième art qui nous passionne tant. L’équipe de Grandé est aujourd’hui très fière de continuer à faire briller le nom du créateur grâce au nouveau Studio Gratien-Gélinas.

Pour tout savoir sur Gratien et le cinéma, voici un texte inspiré de la biographie Gratien Gélinas, La ferveur et le doute, par Anne-Marie Sicotte

Gratien Gélinas et l’amour du cinéma

Gratien dans ses bureaux

Acte premier : précurseur avec le film initial parlant et couleur au Canada.

Vers la fin de 1940, Gratien a une passion à assouvir : le cinéma. Il est un fanatique du septième art. Chez lui, l’été, il passe ses moments de loisirs à imprimer sa famille sur pellicule. Ayant envie d’expérimenter ce médium, il fonde une entreprise de cinéma, se procure les meilleures machines sur le marché et loue un studio. « Murs et plafonds du studio sont recouverts d’un revêtement spécial qui absorbe les sons, et les fenêtres sont hermétiquement fermées. » Gratien planifie « une comédie de court métrage ». Il voudrait également produire des documentaires et même de « grands films ».

La première oeuvre démarre à l’été 1942. La dame aux camélias, la vraie, est un pastiche de l’œuvre d’Alexandre Dumas destinée à être présenté lors d’une prochaine édition de Fridolinons. Avec Jacques Pelletier, décorateur, et Marc Audet, technicien à CKAC et cinéaste amateur, Gratien se rend à New York pour compléter l’équipement cinématographique : les projecteurs, l’équipement sonore et une camera Eastman Kodak, « un des plus beaux modèles du temps, une caméra extraordinaire avec des magasins pour mettre des films ».

Au rez-de-chaussée du studio de la rue Saint-Denis, l’équipe de tournage installe une chambre noire pour développer la bande sonore, séparée de la bande-image. Soudain, guerre mondiale oblige, le gouvernement canadien rationne la pellicule 16 mm à raison de cent pieds par mois par client. Or, pour le film, il faut entre 3 000 ou 4 000 pieds. Toute l’équipe se rassemble, se répartit en deux voitures et arrête à différents magasins pour acheter le maximum permis.

Le tournage commence et toute l’équipe travaille d’arrache-pied. « Le travail pressait, on dormait trois heures puis on tournait dix heures. Les scènes d’intérieur allaient bien, mais celles d’extérieur étaient pénibles. C’était novembre, il faisait froid, il fallait se presser question lumière. » Marc Audet, à la caméra, court « au son en arrière, dans une petite cabane » pour dire à quel endroit partir le son. Gratien s’occupe du décor, de la mise en scène, de l’angle de la caméra.

« Il venait voir dans la caméra, il se déplaçait comme un metteur en scène, de la scène à la caméra, “Je ne veux pas de ça, prends-lui la tête un peu plus grosse.” »

Chaque bobine de cent pieds de pellicule est envoyée à Toronto pour développement, pour revenir cinq ou six jours plus tard. C’est alors qu’on constate les ratages… Du montage, Gratien et Louis Pelland n’ont qu’une connaissance fort relative. À la dernière seconde, Gratien saute dans un taxi pour aller à la gare. Car la copie finale du film monté doit être imprimée à New York. De peur de se la faire confisquer à la douane, Gratien la passe en contrebande. À New York, il doit terminer le montage des dix dernières scènes.
Terriblement fatigué, il place des serviettes d’eau froide sur sa tête pour pouvoir tourner la visionneuse et ne pas s’endormir. » Plus tard, voyant pour la première fois un film qui lui a causé tant d’inquiétudes, il s’endort! Il revient à Montréal sans attendre la copie finale, livrée par la poste. La déception est immense : l’image est bouchée, les rouges ont viré au brun, les bleus au vert. Gratien est effondré. Avec son collège Garceau, il se tape un second voyage à New York. La nouvelle copie est loin d’être parfaite : le son mauvais et l’image très foncée, qui requiert l’utilisation d’un projecteur à arc, qui chauffe, au lieu d’un projecteur à lumière incandescente.
L’auditoire de Fridolinons 43 réserve un accueil houleux à La Dame aux camélias, la vraie. Le soir de la première, le public fut fort surpris de voir un film plutôt que son héros en chair et en os. L’accueil est houleux. Les critiques sont dures. On réclame le vrai Fridolin. Gratien en ressent « une peine considérable », ayant l’impression qu’on s’acharne à ne voir que les erreurs. Cependant, dans Radiomonde, on note que le film donne un avant-goût de ce qui pourra être accompli lorsque les difficultés des premiers tâtonnements seront surmontées.
« Gélinas a réussi des images étonnantes : arbres dépouillés… bourrasques… silhouette qui tient de l’épouvantail à moineaux, et qui surgit soudain dans une rafale à la Duvivier… arbres cristallisés… et puis des intérieurs où domine le jeu des rayons et des ombres. Une trame sonore bien choisie. Et un dialogue ! En somme, belle tentative de cinéma, joujou dispendieux que peut s’offrir notre Fridolin capitaliste et amateur de tentatives neuves. »

Malgré tout, dire que Gratien est déçu que le film fasse si peu d’effet parmi le public est bien en deçà de la réalité. Gratien vient de traverser une des périodes les plus exigeantes de sa vie, l’une de celles où il a le plus travaillé et le moins dormi… pour un accueil du public relativement froid. Après trois représentations, Gratien raccourcit beaucoup son film. Il est découragé. Tant de travail pour un résultat si éloigné de ses ambitions! Devant les difficultés croissantes de tourner en temps de guerre, la pellicule et l’équipement étant rationnés, Gratien prend une pause du cinéma et vend à profit un an et demi plus tard son équipement de cinéma 16 mm à un Torontois pour la somme de 7 500$.

FILM LA DAME AUX CAMÉLIAS

La Dame aux camélias, la vraie (26 min.) from Pascal Gélinas on Vimeo.

Acte deuxième : le premier classique de l’écran québécois

En 1953, l’industrie cinématographique québécoise prend son essor. J. A. de Sève, le propriétaire de la compagnie de distribution France-Film, propose à Gratien de tourner Tit-Coq. Le milieu artistique songe déjà à produire des « vidéofilms » pour la télévision, un tout nouveau médium qui a connu une expansion rapide aux États-Unis pendant les années 1940. La Société Radio-Canada, un service local de production et de diffusion, est sur le point de voir le jour. De Sève, lui, veut un long métrage pour le grand écran. Ce sera Tit-Coq, mis en scène par le Français René Delacroix, un réalisateur français.

Gratien, interprète et assistant-réalisateur du film Tit-Coq tourné en 1953, écoute la bande sonore d’une prise.

Gratien tient à demeurer propriétaire de son film; J. A. de Sève fait à Gratien une avance personnelle d’argent pour la production, et se remboursera à même les profits, en plus d’avoir les droits exclusifs de distribution et d’exploitation. Gratien doit fournir, sans rémunération : les droits de sa pièce, son studio, son travail à la mise en scène, au découpage, au montage, et dans le rôle de Tit-Coq. Son seul salaire sera le profit réalisé par le film… après que France Film aura pris sa part.

La plupart des rôles principaux sont attribués aux comédiens de la pièce; leur salaire varie entre 75$ par jour pour Juliette Béliveau et 35$ pour Clément Latour. Monique Miller, 16 ans et demi, obtient le rôle de Marie-Ange… à 20$ par jour. Heureusement pour elle, un ami avocat lit son contrat, puis fait des pieds et des mains, avec l’appui de Gratien, pour faire monter ce salaire à 35$ par jour.

Avec Muriel Guilbault, qui a joué Marie-Ange, dans Tit-Coq, entre 1948 et 1950.

La plupart des scènes du 13e film canadien sont filmées aux studios Renaissance, rue Côte-des-Neiges. Gratien se souvient du carré Saint-Louis où un petit vent frisquet n’arrive pas à disperser les centaines de badauds.

« Le soir où nous avons tourné la scène du baiser que donne dans le parc Tit-Coq à Marie-Ange sous l’oeil indulgent de la police de Montréal, à chaque reprise de la scène, à chaque baiser de Tit-Coq à Marie-Ange, un long sifflement sensuel et plein d’envie, remplissait l’atmosphère de Sherbrooke à l’avenue des Pins et de Saint-Denis à Saint-Laurent. »

Le tournage terminé, Gratien s’installe dans son studio en compagnie de deux monteurs. Cette étape fascinante pour lui dure un mois, presque jour et nuit. Tit-Coq est présenté en première le vendredi 20 février 1953. Jean Béraud évoque, dans La Presse du lendemain, une salle archicomble donnant au film une ovation debout. « Nous voulions notre premier classique de l’écran canadien-français. Le voilà. Enfin! »

« Enfin, ça y est. Au chant magique de ce Tit-Coq qui naguère nous apprenait le chemin du théâtre, le jour se lève à nouveau. Dieu! que c’est passionnant – et nécessaire – de se reconnaître sur un écran. Et, tout à coup, de ne plus être simplement intéressé à titre documentaire ou ému par fraternité humaine, mais de se sentir touché au vif et comme flambant nu, violé par l’œil d’une caméra (…) Étranger mon ami, si ce film passe sur ton écran, dis-toi avant toute chose que là, pour la première fois, nous sommes. Bon nombre d’entre nous, en tout cas. Et c’est tels quels que nous sommes, à prendre ou à laisser. »
Le journaliste René Lévesque, dans L’autorité le 28 février 1953.

Pendant toute l’année 1953, Tit-Coq est projeté à travers le Québec pour des recettes nettes de près de 170 000$. De cet argent, Gratien ne voit pas la couleur. Encore pis : trois ans plus tard, il devra encore près de 20 000$ à France-Film.

Malgré tout, le film intéresse le pays en entier. En 1954, le film sera mis à l’affiche dans les régions francophones du Canada; puis, sous-titré en anglais, il passera dans les salles ontariennes, et sera jugé comme étant une brillante réussite. Enfin, le 7 octobre, la version anglaise sera lancée à Toronto en grande pompe.

Gratien et le metteur en scène Michael Langham au Festival de Stratford, Ontario, 1956.

Acte troisième : l’art de distribuer des subventions

À la fin des années 1960, Gratien se trouve une autre cause à défendre, celle du cinéma canadien. Depuis novembre 1969, il est président du conseil d’administration de la Société de développement de l’industrie du cinéma canadien (SDICC), l’ancêtre de Téléfilm Canada, créée en 1968 par le gouvernement fédéral pour développer l’industrie du long métrage au Canada, par investissements ou prêts. Le secrétaire d’État, Gérard Pelletier, fait appel à Gratien, un des rares Canadiens ayant fait des films, mais surtout un « French Canadian » acceptable à l’ensemble du pays.

Gratien peut reporter sur sa nouvelle fonction son désir ardent de contribuer à l’édification d’une culture d’identification nationale. L’industrie du cinéma québécois est jeune, bouillonnante, et enthousiaste. Elle s’adapte au voisinage de la télévision en haussant les prix d’entrée, en ouvrant des ciné-parcs et de nombreuses salles à écrans multiples pour des publics plus réduits.

Rapidement, il investit une énergie croissante dans son travail. Puisque la SDICC doit sélectionner les projets de films à financer, il se met à lire les scénarios; puis il rencontre les producteurs et les réalisateurs, et il représente le Canada lors de festivals du film à travers le monde. Dès 1973, ses fonctions à la SDICC l’amènent chaque année à présider la délégation canadienne au Festival de Cannes. Selon une ancienne collègue, la présence de Gratien, plus d’une dizaine d’années, a donné une forte impulsion en termes de production québécoise, malgré tous les tiraillages avec les réalisateurs en termes de contenu. Carole Langlois se souvient en souriant de l’enthousiasme de Gratien à raconter dans le détail, aux membres du conseil qui bâillent, un scénario qui lui avait plu. « Sa venue a été très importante, estime-t-elle, surtout en termes de production québécoise. Il détestait le médiocre. Mais dès qu’une oeuvre le touchait, il trouvait essentiel de la faire. Il défendait farouchement ce qu’il aimait. »

Mais les contacts avec les réalisateurs ne sont pas faciles. « Notre cinéma était totalement artisanal, raconte le producteur Claude Godbout. Les réalisateurs étaient très fermés sur leurs idées. » Par ailleurs, Gratien a une opinion assez précise de ce que doit être un bon scénario. « Il n’était pas en état de grâce vis-à-vis du milieu du cinéma. Lorsqu’il exprimait ses règles dramatiques, ses préférences, on pouvait se demander s’il avait vraiment fait la transition du théâtre au cinéma. »

Grandé Studios compte 12 espaces de tournage répartis sur deux sites à proximité du centre-ville de Montréal. Ouverts en 2016, les studios de Pointe-St-Charles offrent 182 000 pieds carrés d’espace de production. Avec leur hauteur de 54 pieds, ils figurent parmi les plus hauts studios de tournage au pays et contribuent à faire connaître Montréal comme leader du 7e art ainsi que le talent des artisans de la métropole. Nous avons eu le plaisir d’accueillir tant des productions américaines telles que X Men (FOX), les télé-séries The Truth About the Harry Quebert Affair (MGM) et Jack Ryan, une franchise de Tom Clancy produite par Paramount (Amazon) que des productions québécoises comme Danser pour Gagner et La guerre des clans (V).

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Photos Bibliothèque et Archives Canada, Fonds Gratien Gélinas.

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