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Alexandre Jardin: La vie après le mensonge

Avez-vous déjà senti que votre vie amoureuse était horriblement plate en lisant l’un des livres d’Alexandre Jardin comme L’Île des gauchers ou Ma mère avait raison? Moi, oui. La surprise, c’est que l’auteur de 53 ans aussi! Celui que nous avons découvert à l’aube de sa vingtaine avec Bille en tête, puis Fanfan et Le zèbre présente aujourd’hui un livre choc. Il nous apprend dans Le roman vrai d’Alexandre que ses récits biographiques n’étaient pour la plupart que le fruit de son imagination et que son propre personnage était jusqu’à maintenant aussi faux que ses oeuvres. Après trente ans d’imposture romanesque pour combler ses carence émotives, il déchire ses chemises pour se mettre à nu dans cet aveu littéraire. J’ai eu le plaisir de faire une entrevue avec le nouvel Alexandre, mort de trouille à la veille de la sortie de son roman choc en France. Je vous mets ici une version audio de notre entrevue, mais le son n’est pas à son meilleur puisque l’entrevue a été enregistrée à partir de notre conversation au téléphone et qu’Alexandre marchait à ce moment-là dans les rues de Paris pour apaiser son stress.

Bravo! Je viens de terminer le livre et j’avoue que c’est la crise de la cinquantaine la plus violente, mais aussi la plus inspirante que j’ai lue. Qu’est-ce qui est à l’origine de ce livre?

Ce qui est à l’origine, ce sont des années de militantisme social qui m’ont fait tomber amoureux de la réalité. Parce que les gens que j’ai rencontrés étaient tout simplement d’une telle beauté que l’être fictif que j’avais fabriqué qui s’appelait Alexandre Jardin et qui se baladait sur les plateaux de télé qui faisait croire qu’il était l’équivalent de ses héros tout à coup m’est apparu comme insupportable. Parce que la moitié de ma vie était les pieds dans la glaise à installer des programmes sociaux avec des gens qui se battaient dans des circonstances assez compliquées. L’écart entre l’homme réel que je devenais et l’homme fictif que je continuais à jouer est devenu impossible. Et autant j’ai sauvé ma peau pendant des années en publiant des romans, en m’imaginant la famille dont j’avais besoin qui n’avait rien à voir avec ma famille réelle autant je me suis dit qu’il fallait que je sauve ma peau en arrêtant.

La mère d’Alexandre Jardin
Alexandre Jardin et sa mère

Votre psy n’était pas d’accord avec l’écriture du livre? Pourquoi?

Ça lui a fait peur. Il m’a dit que maintenant en littérature, il faut garder une distance et rester dans le roman. Et je lui ai répondu que je n’y arrivais plus. Et quand j’en ai parlé à mon éditeur il y a un an, il est devenu vert et il m’a dit « tu renonces à ce projet. On n’a pas le droit d’écrire contre soi. On n’a pas le droit de mettre en péril une partie de son oeuvre en rompant le pacte de confiance avec ses lecteurs. ». Et je lui ai dit « mais il est rompu! ».

Pourquoi tu sentais qu’il était rompu?

Tout simplement parce que j’avais menti dans des proportions extraordinaires en inventant une famille imaginaire que des millions de gens ont lu. Ils ont répété les histoires de mon père, l’histoire du chèque en blanc laissé dans une cabine téléphonique, j’ai vu des tonnes de gens répéter ça. Le Zubial qui est le personnage de mon père dans mes livres n’existe pas! On ne peut pas s’engouffrer durablement dans cette direction sans devenir fou. Il y a un moment où il faut absolument arrêter sinon ça se termine comme pour Romain Gary qui s’est foutu un coup de fusil. Parce que quand on ment, on brise sa vitalité. Ses ressorts vitaux. C’est pour ça que c’est extrêmement dangereux. Donc tout à coup cet éditeur qui me disait que je devais penser à mon catalogue, je l’ai pris pour un dingue! Lui, il m’expliquait que c’était un suicide alors que pour moi, c’était une renaissance.

As-tu pensé à ce que serait ta vie si tu n’avais pas menti à partir de l’âge de 20 ans?

Je me serais tué! J’étais beaucoup trop fragile. J’étais dans une réalité qui était strictement impossible à vivre. J’étais dans un réel impossible. Quand on fabule, c’est qu’on ne peut pas supporter le réel dans lequel on est plongé. Il est si blessant qu’on doit sauver sa peau par un récit. Et après, le succès des livres a fini par m’enfermer.

Vous écrivez que ce livre est une lutte contre la dépression. C’est un état qui vous suit depuis quand?

Je suis entré en dépression à l’âge de 15 ans. À la mort de mon père. C’est arrivé si brutalement. Personne ne m’avait dit qu’il allait mourir. Et du jour au lendemain, il meurt. Et en quelques jours, on fait une messe d’enterrement et on m’expédie tout seul au fond de l’Irlande. Je ne parlais pas un mot d’anglais. Et je me suis retrouvé dans une famille de Milkman, au bord de la mer dans une banlieue sinistre tout seul au lendemain de l’enterrement. J’ai menti à tout le monde pendant l’été. J’ai caché à tout le monde que mon père était mort. J’ai caché à tout le monde que j’avais tenté de me tuer et j’ai commencé à faire la liste de mes souvenirs pour essayer de garder mon père et il n’y avait presque rien sur la page. Donc j’ai rallongé et j’ai imaginé le père dont j’avais besoin dans cette Irlande. J’ai testé mes histoires sur mes copains du club de voile, et quand je suis rentré à Paris à la fin de l’été, j’avais un père imaginaire qui était merveilleux.

L’Annee de la mort de mon père – 15 ans 1980
L’Annee de la mort de mon père – 15 ans 1980

Vous écriviez des romans qui étaient à l’antipode de votre vie. Quel genre de mari avez-vous été réellement?
Un mari de la pire espèce. Un mari n’ayant aucune estime pour lui-même. Que l’on pouvait parfaitement piétiner. Vraiment le contraire d’un héros. Un mari totalement dominé, incapable de s’écouter dans ses besoins. Totalement aspiré par les besoins de l’autre. Appliquant le mépris de soi au plus haut degré. C’est-à-dire tout l’inverse de celui que vous avez aperçu à la télé qui s’esclaffait, qui riait, qui avait un côté solaire. Alors que j’étais l’ombre. Et cette comédie, elle est toxique.

Vous racontez tout, mais vous ne nommez vos deux épouses que par leur initiales. Pourquoi?

Mettre le prénom de donne rien. C’est le cas de figure qui m’intéresse. C’est pas une dissimulation, c’est que ça apporte rien. Et puis en plus, ce n’est jamais que mon regard.

Vous dédiez cette œuvre à vos enfants, qui sont d’après-vous des blocs de vérité. Que vous ont ils dévoilés sur vous?

Ce sont aussi d’autres générations. Ils m’ont quand même vu de près. Alors que moi, j’ai très peu vu mon père et les adultes. J’ai beaucoup fantasmé. Donc, il me connaissent. Ces dernières années, un certain nombre d’entre eux m’ont parlé en me disant que ma vie n’allait pas. Pas seulement ma vie de couple. Ma vie. Et sans m’accuser de rien. Et je pense qu’ils attendaient quelque chose. Ils voyaient bien que quand je courais dans une émission de télé ou de radio, je n’étais absolument pas leur père militant social. Ils voyaient bien qu’il y avait deux hommes complètement divisés. Et même le monde littéraire auquel j’appartenais à Paris, c’est Venise. C’est un jeu de masques. C’est absolument l’inverse de ma vie d’homme engagé.

Est-ce que toute vérité est bonne à dire?

Mille fois oui!  Aussi conflictuelle soit-elle. Tout ce qui nous sépare du vrai nous déstabilise. Aujourd’hui, j’ai rencontré une femme qui est puissamment vraie. On est capables de s’engueuler!

Comment tu te sens dans ton corps? Tu disais que le mensonge dévitalise. Est-ce que tu te sens différent?

J’ai envie de grimper sur ma femme 3 fois par jour. (Rires) La sexualité n’est pas un monde parallèle. C’est directement lié à la vitalité de sa propre vie ou à sa dévitalisation. Et toutes ces âneries que l’on lit qu’il faudrait pimenter ou je ne sais quoi. Mais non! C’est vivant ou pas. Si on vit avec des protections, oui, la vie se dégrade. C’est inévitable. Mieux vaut être capable d’affrontements très fort dans un couple s’il y a un bref sujet d’affrontement. Il vaut mieux être capable de pleurer dans un couple que de mimer le bonheur et de faire ce mariage totalement faux que j’ai fait la deuxième fois.

Est-ce que tu te rends compte que ce que tu dis maintenant est tout aussi romantique que ce que tu inventais auparavant?

Je me rends compte que ce l’est beaucoup plus! C’est-à-dire que rebrancher la prise de terre, c’est le début du romanesque réel. C’est pour ça que je sais que ce livre, ce roman vrai, me catapulte vers un tout autre genre de littérature, mais complètement différent.

Vos conseils pour ceux qui vivent une crise existentielle?

Mais écoutez vous! Définitivement, écoutez-vous! Au lieu de vous raconter quelque chose sur votre vie. Au lieu de vous raconter que votre couple est ceci ou cela. Écoutez-vous. Au fond vous savez très bien ce qu’il en est. À un moment il faut vraiment être au centre de sa vie. On ne peut pas vivre sur des bribes de vie dans la périphérie de sa vie.

Est-ce plus difficile pour les hommes d’exprimer leur vraie nature?

Non. Je crois que cela est très uniformément réparti. Regardez les pages Facebook des femmes. Regardez les photos. Est-ce que ça a un quelconque rapport avec la réalité? On voit bien qu’il y a un écart impressionnant et que les filles se racontent des choses à leur propre sujet.

C’est le plus beau cadeau que vous pouviez vous faire. Votre relation avec les autres a changée? Je me souviens de vous, alors que nous assistions à un mariage d’amis communs. Vous étiez pensif, distant. Si je vous revoyais, croyez-vous que notre contact serait différent?

Très probablement parce que le maintien d’un personnage met à distance. À partir du moment où on éprouve le besoin de toujours magnifier tout, on dévalorise tout dans le réel y compris soi.

Je dois te la question, même si je te crois! Doit-on croire ce qui est dans ce livre ou est-ce une autre fiction?

Je crois que tous les cyniques penseront que c’est une manipulation. Parce que les cyniques n’imaginent pas que la sincérité existe. Ils pensent tous que quand on baisse le masque, c’est pour en montrer un autre. Et on ne pourra jamais empêcher un cynique de penser comme ça puisque c’est sa manière de se défendre et de se protéger. Oui, il y a des gens qui penseront ça, mais c’est pas très grave.

Le roman vrai d’Alexandre sortait hier en France et aujourd’hui au Québec. C’est un cadeau immense que l’auteur fait à ses lecteurs qu’ils soient prêts ou non à faire face à leur réalité.

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