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Kukum: Michel Jean fait revivre son arrière-grand-mère

Michel Jean a ce don inné pour nous faire passer par toute la gamme des émotions! Après avoir raconté l’histoire de sa grand-mère dans Elle et nous, Michel recule encore dans le temps pour nous aider à comprendre la vie et les drames des Autochtones en mettant en scène son arrière-grand-mère.

Avec Kukum, l’auteur nous propose non seulement un roman qui va droit au coeur, mais nous raconte l’histoire d’Almanda Siméon, une orpheline amoureuse qui va partager la vie des Innus de Pekuakami. Elle apprendra l’existence nomade et la langue, et brisera les barrières imposées aux femmes autochtones. Relaté sur un ton intimiste, le parcours de cette femme exprime l’attachement aux valeurs ancestrales des Innus et le besoin de liberté qu’éprouvent les peuples nomades, encore aujourd’hui.

Issu de la communauté de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean, l’écrivain, chef d’antenne et journaliste d’enquête a d’ailleurs fait le lancement de ce nouveau livre le 25 septembre dernier dans cette réserve amérindienne où ses ancêtres ont vécu!

Michel, après nous avoir raconté la vie de votre grand-mère, vous avez choisi de faire revivre celle de votre arrière-grand-mère Almanda Siméon! Où avez-vous pris l’inspiration pour ce nouveau livre?

Almanda a existé réellement! Ce que je raconte dans le livre, c’est le récit de sa vie, basé sur tout ce que j’ai pu ramasser comme informations. Almanda est une femme forte, c’est une aventurière. C’est une femme qui a brisé les conventions! C’est quelqu’un qui, à l’époque où justement l’avenir des femmes était d’élever une famille dans le fond d’un rang, ne voulait pas ça comme vie. Et puis, par amour, elle a choisi une vie nomade avec le jeune homme dont elle est tombée amoureuse très jeune. Elle l’a suivi et elle a passé sa vie avec lui! Elle a élevé sa famille dans les bois, elle est devenue Innue, elle a appris la langue, et elle était considérée par les Innus comme une Innue. La liberté représentait tout ça pour elle! D’ailleurs, j’ai fait mon lancement à Mashteuiatsh la semaine dernière et beaucoup de gens m’ont parlé d’elle. Ils se souviennent encore d’elle. Elle a marqué les mentalités!

Almanda Siméon devant sa maison.

En plus de la vie d’Almanda, vous mettez aussi en lumière la vie et l’histoire de toute une communauté des Innus du Saguenay-Lac-Saint-Jean!

Ce que j’ai voulu faire à travers l’histoire d’Almanda, c’était de raconter aussi l’histoire d’un peuple. Son histoire m’a permis de raconter l’histoire des Innus – dans ce cas-là, ce sont du Lac-St-Jean, mais c’est un peu la même chose partout. J’aborde aussi la fin du mode de vie traditionnel, la sédentarisation forcée, les conséquences sociales de celle-ci, la vie dans les communautés, les pensionnats autochtones, puis la remontée vers une vie meilleure. Ça vient d’un personnage fort, qui est un beau modèle de femme pour son époque, afin de raconter l’histoire plus large des Autochtones.

Anne-Marie Siméon (fille aînée d’Almanda).

Les figures féminines ont manifestement eu beaucoup d’importance dans votre vie et vous avez visiblement eu le goût de leur rendre hommage avec vos livres!

Souvent, dans mes romans, il y a des femmes fortes de toutes sortes d’ailleurs. Dans mon premier roman, il y avait une femme qui, elle, avait décidé de rester à la maison, d’élever les enfants et c’était son choix à elle, et son mari était journaliste. C’est quelqu’un qui avait beaucoup de force, mais ça s’exprimait autrement. J’ai eu beaucoup de femmes autour de moi qui ont été inspirantes et je me suis laissé porter par elles à travers mes livres, en effet. Almanda, c’est un personnage de film! Dans l’histoire, on a connu beaucoup des femmes et des hommes qui ont décidé de partir dans le bois, qui ont épousé des Autochtones, qui sont devenus des coureurs des bois, etc. Par contre, je ne connais pas, à ma connaissance, d’autres femmes qui aient fait le contraire: qui, à l’époque, sont parties dans le bois, et qui ont choisi la liberté parce qu’elles voulaient échapper à une vie qu’elles trouvaient plate, dans le fond. En soi, c’est très inspirant pour un romancier!

Jeanette Siméon à l’âge de 16 ans devant Pekuakami (fille d’Almanda, grand-mère de Michel).

Vous avez confié qu’avec le temps, cette histoire vous obsédait, et que vous deviez l’écrire. Pourquoi?

Parce que… Je l’ai connue, mon arrière-grand-mère. C’est un personnage que j’ai aimé! C’est aussi à cause de son courage, sa volonté, le fait qu’elle se démarque à une époque où peu de femmes le faisaient dans sa région. C’était plus difficile pour les autres. Elle, elle l’a fait! Ça lui a pris du courage, parce que la société, les gens autour, ne comprenaient pas pourquoi elle faisait ça. Mais ELLE, elle s’est écoutée, au lieu d’écouter les gens autour. Je trouvais ça important de raconter son histoire! Almanda vivait sur une ferme avec une famille et elle a quitté tout ça pour s’en aller dans le bois, suivre un Autochtone, vivre la vie des Indiens, des nomades, vivre et élever sa famille dans une tente. Peu de gens comprenaient pourquoi elle faisait ça à l’époque. Mais, elle l’a fait! En même temps, ces histoires-là, si je ne les raconte pas, elles ne sont nulle part dans les livres. L’histoire des Autochtones n’est nulle part! Si je ne la raconte pas, qui va la raconter? Alors c’est pour moi une responsabilité de le faire!

Votre arrière-grand-mère était quasi centenaire lorsqu’elle est décédée en 1976. Vous l’avez connue, mais vous ne l’avez pas vue souvent. Que retenez-vous d’elle?

C’était une femme gentille, qui était très curieuse. Quand elle nous voyait, elle était contente! Nous restions à l’extérieur, donc elle était toujours contente de nous voir! C’était une femme qui était encore belle à cet âge-là. On remarque à travers toutes les photos qu’on a d’elle – parce qu’on n’a pas de photos d’elle quand elle était toute jeune – que c’était une belle femme. Elle était forte! En même temps, c’était un caractère, parce qu’elle avait son béret, elle fumait, elle avait ses lunettes… Elle avait ses gants, sa jupe ample! Elle allumait ses cigarettes et sa pipe en frottant une allumette sur sa jupe. Tu vois le genre? C’était donc quelqu’un devant qui, quand on était jeunes, on se disait: «Wow!» C’était une mère, une grande-mère, une arrière-grand-mère plus grande que nature.

Michel et sa famille à Mashteuiatsh.

Vous avez donc été inspiré par les histoires émouvantes qui vous ont été racontées par votre famille et par vos recherches documentaires pour écrire ce nouveau roman! Vous avez sûrement vécu de grandes émotions en écrivant Kukum?

Ah, oui! Vraiment. J’ai passé deux ans la main sur le coeur d’Almanda, à chercher, à demander aux gens dans la famille qui la connaissaient quels étaient les détails, ce que l’on savait sur elle, les cousines, ma mère, mes tantes… Petit bout par petit bout, je retraçais sa vie. Veux, veux pas, c’est mon ancêtre et en même temps, je retraçais la vie de ma famille. Quand on parle du territoire traditionnel, pour nous les Siméon, qu’est-ce que ça voulait dire? Ils vivaient aux Passes-Dangereuses, à la tête du Lac Péribonka… Alors, ils partaient à l’automne, vers la fin du mois d’août, en canot, toute la famille, et ils faisaient le tour du lac, puisque la rivière était l’autre côté du lac. Après, ils remontaient la rivière, il y avait plusieurs rapides. Ça prenait un mois à la famille pour se rendre jusque-là. Après un mois, ils s’installaient là pour l’hiver et les hommes allaient chasser dans le Nord, alors que les femmes s’occupaient du campement. Sauf qu’Almanda, elle, partait avec les hommes à la chasse. Elle ne voulait pas rester au campement comme les autres femmes le faisaient. Raconter cette histoire-là, c’était aussi refaire le chemin avec mes ancêtres, avec la famille. Raconter des lieux aussi, comme ils l’étaient auparavant, avant la coupe à blanc… C’était tout de même émouvant pour moi de raconter les paysages, de marcher, de les suivre, et de faire revivre tout ça morceau par petit morceau. J’avais l’impression, avec un casse-tête, de recréer quelque chose. Assez que lorsque j’ai eu le livre dans mes mains, avec la couverture faite par Marike Paradis, et qu’on m’a montré le personnage féminin, j’ai eu les larmes aux yeux parce que c’était comme si ce personnage-là de femme que je connais, que j’ai aimée, qui a existé mais qui est dans ma tête, dont je réécris l’existence depuis deux ans, était incarnée. Donc, ça a été très émotif, oui!

Et le titre du livre, Kukum, que signifie-t-il pour sa part?

Ça veut dire grand-mère! C’est ma kukum! Au début, quand j’écrivais des livres concernant les Autochtones, j’écrivais des titres en français, car j’avais peur que les gens ne les lisent pas à cause de ça… Je me disais toujours que l’important, c’est qu’ils lisent l’histoire pour qu’ils comprennent. Maintenant, au contraire, je pense que les gens sont ouverts à ça. En 10 ans, il y a quand même eu beaucoup d’évolution. Les gens sont maintenant plus sensibles à ça et intéressés par ces questions-là… plus que les gens l’ont été auparavant. Et ça, c’est une source de réconfort pour bien du monde, je trouve.

Qu’est-ce qui s’en vient pour vous?

On vient de sortir Kukum! Je l’ai présenté à la communauté de Mashteuiatsh il y a quelques jours. Il y avait plus de cent personnes au musée! C’était le fun. Je tenais à le faire dans la communauté, parce que ce n’est pas mon histoire, mais plutôt l’histoire de toute la communauté de cette région! Donc, ça a été très émouvant là-bas. Là, le livre va paraître et j’ai hâte de voir l’accueil. À date, les critiques que j’ai eues étaient positives. C’est rassurant! Kukum va aussi paraître en France, au mois de janvier, dans une petite maison d’édition qui s’appelle Dépaysage. En même temps, le recueil de nouvelles Amun, que j’ai dirigé et dans lequel j’ai écrit, vient de paraître en France et va paraître, au cours des prochains mois, en Allemagne et à Toronto, dans le Canada anglais.

Kukum de Michel Jean, qui paraît chez Libre Expression, est disponible dès maintenant en ligne (24,95$) et en librairie!

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