Je viens de vivre l’une des journées les plus importantes et les plus signifiantes de ma vie. Laissez-moi vous raconter…
À l’école primaire, j’ai toujours été différent des autres. À la récréation du matin, je détestais être obligé de jouer au ballon-chasseur avec les autres garçons. Moi, je rêvais d’aller me balancer et de jouer à la tague, jeux réservés aux filles. Je préférais l’art au sport, les balades en vélo au hockey.
Les élèves se sont rapidement rendu compte que j’étais différent et cela ne faisait pas leur affaire. Je ne comprenais pas trop pourquoi, ni ce que j’avais de différent. Sûrement qu’eux ne le savaient pas non plus, mais je ne faisais pas partie de la gang et j’étais donc une cible facile. J’ai eu droit à des coups, des crachats, des insultes et des vols. C’était extrêmement difficile, surtout que je gardais tout pour moi. Je n’en parlais pas et j’avais trouvé mon échappatoire : la musique.
Quelques années plus tard, au secondaire, j’ai réalisé qu’on fond, ce qui me différenciait, c’était que j’étais attiré par les garçons. Tout simplement. Je n’y voyais rien de mal, bien au contraire, mais pour arrêter l’intimidation, j’ai sorti avec une fille qui connaissait mon secret et avec qui je suis tombé en amour. La mise en scène a fonctionné, l’intimidation a diminué et avec son aide, petit à petit, j’ai découvert le jeune homme que j’étais et j’ai appris à l’accepter pleinement. Je dirais même, à l’aimer.
J’ai fait mon premier coming out à l’âge de 17 ans. D’abord à ma mère puis à mon père et à ma sœur. Depuis ce temps, lorsqu’on me demande si j’ai une blonde, je réponds tout simplement que non, j’ai un chum. Aussi simple que ça!
Cela n’a pas toujours été facile, mais j’avais décidé d’être vrai.
Famille, amis, entourage, collègues, tout le monde sait que je suis gai, je ne m’en cache pas. Ils connaissent bien l’homme avec lequel je partage ma vie depuis maintenant 22 ans et que j’ai épousé il y a 9 ans, l’amour de ma vie, I-Kai.
Tout le monde connait cette facette de moi sauf ceux avec qui je passe 5 heures par jour : mes élèves de 5e année du primaire. Je n’ai jamais osé le leur dire. J’enseigne depuis plus de 20 ans dans une école multiethnique et dans le pays d’origine de certains enfants, l’homosexualité est interdite. Je sais bien qu’ils habitent maintenant au Québec, à Montréal, mais je n’ai jamais osé. Peur? Angoisse? Crainte? Peur des conséquences? Un peu de tout ça, mais surtout l’habitude de ne pas l’avoir fait dès le début. Il faut dire qu’il y a 20 ans, l’homosexualité en milieu de travail n’était pas aussi bien acceptée et je me sentais seul. Je l’ai donc caché aux élèves et d’année en année, je me suis habitué à cette double vie. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai pensé leur dire, sans oser le faire. Il m’arrivait de croiser des élèves dans la rue lorsque j’étais avec mon conjoint, mais je le présentais comme étant un ami.
À mon école, un autre enseignant, Stéphane, vivait exactement la même situation que moi. On parlait souvent de le dire aux élèves, mais on remettait ça. Puis au fil du temps et de nos discussions, le désir d’être vrais, d’enfin pouvoir raconter aux élèves ce qu’on a fait pendant la fin de semaine sans devoir cacher que c’était avec notre amoureux, de pouvoir marcher dans le quartier avec notre conjoint sans craindre que nos élèves nous voient est devenu de plus en plus fort.
Le déclic final est arrivé lors de la diffusion de l’épisode de Canada’s Drag Race dans lequel Mitsou a participé. Une jeune fille trans a mentionné qu’elle aurait aimé avoir eu des modèles à son école. Cela nous a sauté aux yeux, car nous savons que sommes des modèles pour les élèves. Stéphane est en couple depuis 4 ans avec son amoureux et moi, je suis avec I-Kai depuis 22 ans. Deux beaux couples stables, deux hommes sains, actifs et aimés… C’est quand même pas pire comme modèles, non?
Alors au party de Noël, Stéphane et moi, on s’est dit : go, on le fait cette année! J’avais besoin de lui pour me lancer dans cette aventure. Seul, c’est épeurant, mais de vivre un tel moment à deux, ça apporte beaucoup de confiance. On a également la chance d’avoir eu le soutien de toute l’équipe. On a décidé d’aborder le sujet avec l’aide d’albums jeunesse et de courts métrages et au moment opportun, de leur parler de nous.
Est arrivé le 25 avril. Deux membres du GRIS (merveilleux organisme qui démystifie la réalité LGBTQ+) allaient rencontrer nos élèves pendant la semaine et nous trouvions que c’était le moment opportun pour leur en parler.
En classe, j’ai présenté le court métrage de 4 minutes In a Heartbeat dans lequel un garçon tombe amoureux d’un autre. C’est bien fait et vraiment touchant! À la suite du visionnement, je les ai questionnés : quels sujets sont abordés? Comme réponses, ils ont trouvé l’amitié, l’amour, l’intimidation, l’homosexualité et le courage. Oh, le courage! Ce fut ma porte d’entrée. C’est rempli d’émotions et la gorge serrée que j’ai dit aux élèves que moi aussi je le trouvais courageux ce petit garçon et qu’il y avait quelqu’un d’autre de courageux aujourd’hui : moi.
Vous savez, vous connaissez bien des choses sur moi, mais il y a un secret que je garde depuis 20 ans et aujourd’hui, j’ai décidé que j’allais le dévoiler : j’ai un amoureux.
Après quelques secondes de silence et de visages surpris , une élève s’est mise à applaudir et une autre a essuyé des larmes. Trois autres sont venus me faire des câlins en me disant qu’elles m’aimaient. J’avais des larmes qui coulaient sur mes joues. J’ai ensuite ouvert la porte aux questions et la première, celle qui venait d’un garçon, m’a chaviré :
– M. Alex, comment il s’appelle ton amoureux?
– I-Kai.
– Oh, comme dans Cobra Kai! Nice! Dis-lui de venir à l’école, on veut le rencontrer!
Une petite remarque qui est venue me rassurer. Me dire que j’avais bien fait. Me dire que tout irait bien. Je ne l’oublierai jamais cette phrase.
Les autres questions sont venues : il est originaire de quel pays? Depuis combien de temps êtes-vous ensemble? Est-ce qu’il aime le soccer? Qui sait que tu es gai? Pourquoi ne pas l’avoir dit avant? Comment ont réagi tes parents? Ta sœur? Tes amis?
C’est avec un tremblement dans la voix et le visage rouge, j’en suis certain, que j’ai répondu à toutes ces questions. J’ai ajouté que ce n’était plus un secret, qu’ils pouvaient en parler aux autres élèves de l’école. Un nouveau chapitre est arrivé! Ce fut tout aussi touchant dans la classe de Stéphane. On s’en est parlé après l’école et c’est un énorme poids qui est tombé. Une nouvelle liberté trouvée. Ensemble, on a eu le courage et je lui en serai toujours reconnaissant.
Je repense au petit Alex du primaire et je me dis qu’à l’école, j’en côtois, des jeunes garçons et jeunes filles qui se sentent différents. Si je peux faire une différence, pourquoi pas?
Le nouveau chapitre est ensoleillé. Les élèves me posent encore quelques questions, plusieurs en ont parlé avec leurs parents, 2 ou 3 autres ont préféré garder la nouvelle pour eux, ce qui est bien normal. Nous avons toujours eu une belle relation enseignant-élèves, mais elle est maintenant encore plus forte : ils ressentent la confiance que j’ai envers eux. J’ai même eu droit à quelques cartes qui me disaient : si jamais un élève parle contre toi, ne t’inquiète pas, nous sommes là pour toi!
En classe, ce n’est plus le sujet de l’heure. Ils savent que I-Kai fait partie de ma vie et je peux mentionner son nom à tout moment! Ils l’ont même rencontré et il n’y a pas eu de malaises, bien au contraire. Ils étaient fiers de le voir, tous souriaient. Je rencontre aussi d’anciens élèves dans la ville et maintenant, c’est avec le grand sourire que je leur présente mon amoureux.
Pendant plus de 20 ans, je m’étais habitué à vivre avec cette partie de ma vie cachée à ceux avec qui je passe le plus grand nombre d’heures par jour. La crainte était devenue normale. Puis sont venus le courage, le déclic, l’amitié et le support de Stéphane. Le secret est dévoilé : nous sommes deux enseignants compétents, actifs, accueillants et… oh oui, j’allais oublier, nous sommes amoureux d’un homme!