Quand j’ai arrêté de consommer il y a quatre ans, je ne savais pas ce qui m’attendrait de l’autre côté. Mais la souffrance quotidienne était rendue tellement pesante que j’étais prête à sauter dans ce vide que serait de vivre sans, et à aucun moment je n’ai pu penser que j’allais désormais vivre avec plus.
Si je consommais principalement de l’alcool, l’animale de party que j’étais utilisait aussi parfois des drogues pour soutenir ce buzz d’alcool tant chéri. Il y en a chez les dépendants pour qui c’est l’inverse, mais au final, ce qui relie, c’est cet inconfort se muant en frayeur de vivre nos jours à jeun.
La spirale descendante
Comme les enfants anxieux qui traînent avec eux une doudou qui prend les taches et la poussière qui s’accumule, l’ivresse était ma couverture gênante que je promenais collée sur moi partout où j’allais, dans mes nuits embrouillées comme au grand jour.
Les personnes en rétablissement vous le diront: le plus grand défi d’arrêter de consommer est d’apprendre à vivre nos émotions dans leur processus naturel au lieu de les engourdir, les refouler, les noyer ou les geler.
C’est le boutte terrifiant que je craignais le plus avant de prendre ma décision.
Mais c’était avant de savoir ce que j’allais gagner au change. On ne fait pas que perdre la boisson, on gagne une perspective, des cadeaux de vie, des pochettes de bonheur qui se mettent à s’ouvrir un peu partout sur notre parcours, en persévérant dans cette lutte pour la clarté.
D’abord, l’alcoolisme nous donne à la longue une vision en tunnel. Peu importe d’où on part, peu importe le nombre de privilèges acquis ou innés dans notre vie, la dépendance ne fera pas de discrimination: la seule destination, c’est par en bas. Nos objectifs s’amenuiseront et vont se resserrer en entonnoir jusqu’à n’y voir que le prochain goulot de bouteille à dévisser. Les relations, le travail, les projets, les rêves, tout finit par prendre la banquette arrière ou par débarquer du char complètement. Ceux qui ne suivent pas notre cadence seront laissés derrière au profit d’habitudes de plus en plus destructrices. Soudain, la bouteille ne suffit plus, ça en prend une deuxième, une quatrième, une nouvelle job où je n’aurai pas besoin de rentrer le matin parce que je serai automatiquement trop maganée. Et, bon, tant qu’à être déjà feeling en se levant, pourquoi pas repartir sur des mimosas pas trop d’jus? Boire devient la cause et la solution à tous nos problèmes, pour paraphraser Homer Simpson.
Les surprises de l’autre côté
En enlevant la bouteille de l’équation, au fil des jours, des semaines, des premiers mois, notre angle de vision s’ouvre. Il s’étire et s’étend au-delà de nos attentes. Comme les pétales d’un lys à son premier printemps. Soudain, tout n’est plus si noir; y a du gris qui pâlit, de belles lueurs de clairceur.
Car souvent, notre alcoolisme amène sans qu’on s’en rende compte beaucoup de dommages collatéraux dans les autres sphères, dans ce qui construit en somme notre identité. Quand on ne s’empoisonne plus quotidiennement, certaines de ces sphères qu’on ne croyait pas connectées à notre consommation se mettront à guérir d’elles-mêmes. Soudain, des solutions autrefois hors d’atteinte nous apparaissent désormais possibles. L’idée du changement ne vient plus nous assaillir les sens avec des effluves de terreur, mais maintenant des notes d’espoir, de nouvelle chance, de terrain inconnu, certes, mais de mieux, un peu, à l’horizon. De là naît pour nous de la beauté.
De mon expérience
Je ne pensais pas avoir à nouveau de l’énergie en arrêtant de boire, car j’étais devenue une bête léthargique au point où, pour me déraciner de mon lit dans ma chambre frette au rideau fermé, il me fallait, toujours, la promesse de l’ivresse. Avec une bouteille comme une carotte en avant pour continuer d’avancer, jusqu’au prochain last call, jusqu’au prochain shift à caller malade pour cuver mes excès, jusqu’au prochain loyer qui serait payé en retard, jusqu’à une ardoise de mauvais choix lourde à acquitter. Ma dépendance a eu priorité sur tout ce qu’il me fallait payer.
Tous ces soucis, en enlevant cette fatale épine, allaient se dissoudre, un à un, au fil du temps. Dans ce travail qui part de soi.
Les nouveaux défis
Il m’arrive encore, quatre ans plus tard, de vivre des périodes plus difficiles. Jamais toutefois aussi pénibles que les déboires que m’amenait naguère mon boire. Mais quand je vois par exemple un personnage à la télé noyer ses problèmes dans la bouteille, ça me rappelle mes anciens réflexes. Et cette fuite liquide qui me permettait à grands frais d’échapper quelques heures ou quelques jours au tourment qui me mangeait, uniquement pour revenir me mordre au flanc plus vivement, une fois l’ivresse dissipée de mon sang. À nouveau seule dans ma valse des échecs lancinants.
Que ce soit le foie de Prométhée, que l’aigle mythologique venait chaque jour picorer, ou le mien, que je m’acharnais à détruire en continuant de picoler, c’est la même maudite fable. L’éternelle et absurde condamnation. De souffrance induite.
La vie sans devient infiniment plus facile
Et quand la vie est plus facile, on en vient à avoir moins envie de se faire souffrir, moins envie de se détruire.
Je me surprends à découvrir la personne que je suis en-dessous de l’animale de party que je fus, qui se clanchait 5-6 Advil chaque matin machinalement et qui buvait du fort et du vin dans des bouteilles de plastique cachées sur un estomac vide, même les petits mardis. Je suis désormais douce, je braille doucement au son du vent dans les branches des arbres en bordure d’un lac. Je me couche tôt, me lève encore plus tôt. Je pourrais croiser l’ancienne moi dans ma marche matinale alors qu’elle revient du bar, clopinant, un de ses talons hauts sur le clou qui résonne fort sur l’asphalte, son souffle court et sa face bouffie d’avoir commandé sans relâche des doubles pas-d’agrume-pas-de-paille pour qu’ils arrivent au plus vite, ses rallonges à clips fourrées dans sa grande sacoche léopard, ses yeux pas démaquillés et son regard douloureusement vide comme les bouteilles qu’elle avait pourchassées jusqu’au cul sec. Wow. Qu’est-ce que je risquais donc de perdre en vivant sans alcool?
Quasiment comme perdre un boulet et puis une chaîne.
C’est la seule perte d’où on sortira vainqueur(e) au lieu d’être vaincu(e).
L’application gratuite I Am Sober (en anglais) m’a beaucoup aidée dans mon début de rétablissement. Je le recommande à toute personne qui veut tracer son cheminement et trouver des ressources.
Pour me lire
Dans mon livre S’aimer ben paquetée, je parle en profondeur de ces thèmes ainsi que sur mon blogue.
Dans mon prochain texte, je donnerai des conseils pour rayonner quand on a changé de vie!