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Stéphanie Picard

Mara, l’amour, et moi…

Le temps s’est arrêté un instant. C’était au début du millénaire, quelque part entre 2001 et 2004. Je ne me souviens plus exactement. La vie va vite et ne s’arrête pas souvent. J’étais assise dans la cour de Mara Tremblay. Un insecte s’est posé sur sa jambe. J’ai eu l’impression que tout s’est déroulé au ralenti. Mara a émis un son. Là où mon instinct m’aurait poussée à exprimer de l’horreur, j’ai plutôt entendu chez elle un attendrissement. Elle a pris doucement l’insecte entre ses doigts et l’a aidé à s’envoler et à retourner vers la nature.

Le printemps dernier, avant la sortie de son nouvel album Uniquement pour toi, Mara m’a demandé d’écrire la biographie accompagnant son communiqué de presse. Un sentiment d’imposteur m’a envahie. Ayant délaissé le métier de journaliste pour la fiction, écrire une notice biographique n’est plus vraiment dans mes cordes. Mais j’aime Mara. Depuis longtemps. C’était donc un honneur de pouvoir participer à une parcelle du matériel entourant son album à paraître quelques semaines plus tard. Et lui refuser quoi que ce soit m’est impossible. Parce que depuis son premier album, la musique de Mara Tremblay ne m’a jamais quittée.

Photo: Andy Jon

On s’est donné rendez-vous par Facetime au tout début de crise de la COVID-19. Toutes les deux emmitouflées dans nos grands foulards, on s’est parlé du temps qui a passé. Un peu de nos vies, mais pas trop. Nous sommes restées discrètes. Peut-être que de manière tacite, nous savions qu’entre hypersensibles, il valait mieux ne pas se risquer sur des terrains émotifs minés. On a donc parlé d’autres choses, dont ce fameux syndrome de l’imposteur, une faille qu’on partage. «J’ai toujours eu le syndrome de l’imposteur. C’est moins pire avec le temps. » m’a-t-elle rassurée. Puis, rapidement, elle a bifurqué sur son amour de la nature. Ajoutant que ça lui fait du bien dans des moments d’angoisse. Je lui ai mentionné que c’est toujours quelque chose qui m’a frappée chez elle : son rapport à la nature. Elle ne se souvient certainement pas de cette scène anodine dans sa cour, mais on a dressé la liste de chaque référence qu’elle y fait dans ses chansons : le lac, le vent, l’eau, le soleil, les étoiles… Pour elle, c’est intrinsèque.

Deux vies en orbite

J’ai connu Mara plusieurs années après l’avoir aperçue pour la première fois. Vers la fin des années 90, je débarquais à Montréal, sur le plateau Mont-Royal, avant que ce soit cool d’habiter là, avant l’embourgeoisement, et bien avant que les esprits tordus y voient le rassemblement d’une certaine clique. C’était un quartier abordable pour un premier appartement, parfait pour une fille de vingt ans fraîchement débarquée de Québec, qui ne conduisait pas, et qui y une certaine effervescence, faisant oublier un peu la solitude.

J’habitais sur la rue Resther. Juste à côté de Mara Tremblay, ma voisine immédiate.

Je ne l’ai pas su tout de suite. C’est ma coloc, qui travaillait en musique, qui me l’a chuchoté un jour en la pointant du menton: « C’est Mara Tremblay. » « Qui? » « Chut! Mara Tremblay. Elle joue avec les Colocs et les frères à Ch’val. » « Ah. » Le genre de chose qui n’arrivait pas vraiment à Québec dans ce temps-là. Je dois admettre que j’étais impressionnée d’habiter à côté d’une musicienne qui jouait avec des bands. Par timidité, je baissais la tête quand je la croisais sur le trottoir. Je ne voulais pas qu’elle se sente observée. Je voulais qu’elle me trouve normale comme voisine (comme si c’est normal de toujours baisser la tête quand on voit quelqu’un!).

Puis, elle a sorti son premier album. Le chihuahua. Un album qui est tombé comme une tonne de brique dans mon cœur de jeune femme qui vivait des histoires d’amour en montagnes russes et souffrant d’anxiété. Je me reconnaissais dans tout. Moi aussi je me sentais comme un chihuahua dans un petshop de centre d’achats comme dans Le chihuahua, moi aussi je me sentais perdue comme dans La chanson perdue, moi non plus il ne faisait pas toujours beau chez nous comme dans Le bateau et moi aussi, je voulais aller au lac comme dans Emmène-moi au lac. J’ai même cuisiné ma première sauce à spaghetti grâce à la chanson-recette Le spaghetti à papa et j’avais envie d’être tout nue avec quelqu’un comme dans Tout nue avec toi. J’avais l’impression que cet album me racontait. Et la voix de Mara, c’était la mienne. Je pouvais chanter mes émotions avec elle. Ma douleur. Ma détresse. Mon envie d’être aimée. Mais c’était ma voisine. Donc je me retenais de chanter à tue-tête, t’à coup qu’elle m’aurait entendue (voilà, j’ai réussi à ploguer T’à coup, les initiés comprendront).

On s’est finalement rencontrées lors de la sortie de son deuxième album, Papillons, par le biais d’un trio humoristique. Je fréquentais l’un d’eux, elle un autre.

C’est comme ça que je me suis retrouvée dans sa cour, un certain après-midi du début du millénaire. À cette époque, elle n’était plus ma voisine. Elle avait changé de quartier, de vie. Et il nous arrivait parfois d’être ensemble, de se confier l’une à l’autre sans vraiment se connaître. On avait des affinités.

Assez d’affinités pour se reconnaître dans des amours compliquées, qui font des vagues et qui ne durent pas. Ce qui fait que nous avons été des étoiles filantes dans nos vies respectives, le temps ces histoires d’amour-là. Des hasards. Des vies qui s’entrecroisent. Nous avons tout de même conservé une sincère affection l’une pour l’autre, tout en s’observant de loin.

Une dizaine d’années nous séparent et, pour moi, sa musique a toujours été celle de cette fille cool un peu plus vieille que tu admires, qui t’aide à comprendre un peu ce que tu es, ce que tu vas devenir. Son expérience lui permet de mettre des mots sur ce que tu ressens, sur ce qui s’en vient. Parfois ça fait peur, parfois c’est réconfortant. Souvent ça écorche.

Photo: Andy Jon

Quand elle a sorti l’album Tu m’intimides j’étais moi aussi dans une époque de ma vie où j’allais échapper mon cœur comme dans la chanson Toutes les chances. Je me souviens d’avoir fredonné cette chanson sans cesse et que mon filleul de trois ans m’ait demandé « Qu’est-ce que ça veut dire échapper son cœur? » et que cette question me fasse un peu mal, parce qu’au-delà de lui expliquer le concept de métaphore, je devais aussi lui avouer que je n’allais pas bien. Que j’étais en train de me perdre moi-même, et que je devais me retrouver.

La poésie de Mara est aussi sombre que lumineuse, aussi délicate que douloureuse. Elle exprime ce que j’aurais envie de dire. Elle utilise des images qui me parlent. Des mots familiers. À travers les années, ses chansons m’ont accompagnée dans tous les moments importants, des Aurores à Aurait-il plu, en passant par Douce lueur, jusqu’à ce Que la peine passe. Elle me raconte. Je me suis approprié chaque mot, chaque son. Même si elle et moi n’avons pas vécu exactement les mêmes choses. C’est la trame sonore de ma vie. Celle qui me permet de revisiter mon parcours de femme, mon parcours amoureux, mon parcours émotif. Celle aussi qui me permet de me décharger de mon intensité. J’ai rangé mes émotions dans ses chansons. Et quand je veux me souvenir de qui j’étais, à un moment particulier, j’écoute un de ses albums. C’est ma machine à voyager dans le temps.

Une voix unique

À une certaine époque, quand je parlais de mon coup de cœur pour elle, on me répondait souvent « Ah ouain, mais sa voix… » Plus jeune, j’avais tripé sur Hole, The Breeders et Sonic Youth. Je n’ai jamais aimé ce qui était lisse. Et je pense que c’est une des premières fois que le double standard m’a frappée. Était-on si sévère avec les chanteurs et leurs voix différentes? Je me suis demandé si c’est quelque chose qui l’a titillée, au fil des années.  « Quand j’ai commencé solo, je ne me suis jamais questionné sur ma voix. Je viens de l’époque Dédé Fortin… On ne remettait pas en question les voix des hommes. Pourquoi on le ferait avec la mienne? Alors quand c’est arrivé, ça m’a surprise. » Elle aussi, a donc ressenti ce double standard. Mais ça ne l’a pas empêchée de continuer, malgré ses insécurités, qui allaient bien au-delà de ça.

Au début de sa carrière, elle chantait dos au public. « J’avais peur du public. Mais peu à peu, ç’a changé. Les gens venaient me dire qu’ils aimaient ce que je faisais. Ça m’a aidée à me tourner de bord. À leur faire face. » Et peu à peu, les insécurités se sont dissipées.

Elle a tout entendu : « Une fille ça ne chante pas comme ça. », « Lâche ta guitare, c’est moins sexy. » On ne pourra jamais lui enlever d’avoir brisé des barrières, des tabous, d’avoir parlé de sexualité féminine, de maternité, de santé mentale, tout ça dans un rapport à plus grand que soi, plus grand que nous, ce « nous » perdu au milieu de la nature et du cosmos. Et d’avoir tracé tranquillement un chemin pour d’autres.

Quand on écoute ses chansons, sa poésie, on y retrouve un cheminement de vie, rempli d’émotions à fleur de peau. On sent aussi le temps qui passe. La maturité qui s’acquiert. La vision des choses qui change.

« Avant, je voulais tout vivre à tout prix : amoureuse, mère, amante, rockeuse. Tout dans l’intensité. Maintenant, j’ai envie de goûter à tout, mais juste ce qui me fait du bien, avec beaucoup moins d’insouciance. »

Une trame sonore

Je ne connais rien en musique. J’accroche sur les mots, sur les émotions. Je ne suis pas capable de décrire le son, comme le feraient les spécialistes. Mais lors de notre conversation, quand elle m’a confié « Avant, j’avais peur de laisser les gens sur une mauvaise note » et qu’elle a ajouté que pour son nouvel album, elle s’était permis un peu plus de liberté, j’ai senti qu’elle parlait autant de thèmes que de musique. Cette note, c’est celle du désespoir, quelque chose qu’elle ressent parfois et qu’elle se permet désormais de vivre dans l’authenticité, comme dans la chanson On verra demain.

Je l’ai écouté parler de sa musique. Sans savoir si je devais tout noter. Pensant que les mots précis n’étaient pas si importants. Tout ce qu’elle est se retrouve de toute façon dans sa musique. Elle ne se défile jamais. Puis, une étincelle est apparue dans son regard et elle m’a confié fièrement que son nouvel album Uniquement pour toi était celui dont elle est le plus fière depuis Tu m’intimides.

Qu’est-ce que représentera cet album dans ma trame sonore personnelle? Une accalmie. Un peu de paix. Ce moment où j’ai eu envie de me poser. Un peu comme cet insecte, qui a choisi Mara comme piste d’atterrissage temporaire, confiant qu’il ne risquait rien, et qu’elle pourrait l’aider à reprendre sa route. Et je fredonnerai sans doute Je reste ici, pendant un certain temps.

Qu’est-ce qui a changé pour elle, depuis son premier album?

«Ça s’est transformé. Ça s’est transformé en amour-propre.»

Un jour, je raconterai peut-être à mon filleul que, finalement, je n’ai pas échappé mon cœur. Même si j’avais pourtant toutes les chances que ça arrive. Que le temps a passé. Et que par sa musique, Mara m’a aidée à reprendre mon envol.

À voir:

  • Tout nue avec toi, la chanson d’amour que j’ai le plus écoutée
  • Toutes les chances, pour les discussions sur les métaphores
  • Chihuahua, pour la distorsion et parce que ça m’arrive encore de me sentir comme un chihuahua dans un petshop de centre d’achats
  • Pendant la pandémie, j’ai écouté à répétition Que la peine passe. Cette chanson met des mots sur ce qu’est l’anxiété et comment l’apprivoiser.
  • Son plus récent clip, Je reste ici, tiré de son nouvel album, Uniquement pour toi.

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