Le Théâtre du Nouveau Monde présente ces jours-ci, et jusqu’au 14 avril, une adaptation originale du roman de Fiodor Dostoïevski, l’Idiot. Les deux créateurs de cette œuvre, Étienne Lepage et Catherine Vidal, ont manifestement eu envie de nous raconter le plus simplement possible, dans une langue accessible et un décor minimaliste, cette histoire de passions amoureuses, de bonté et de violence.
Ce qui change et ce qui immuable
L’action se déroule en Russie, dans une société bourgeoise et superficielle. Une femme magnifique, Nastassia Filippovna, est au cœur d’intrigues, de marchandages et de projets de mariage. Mais cette femme très belle est aussi une femme perdue, déshonorée. Ayant été victime d’abus sexuels de la part de son précepteur, elle éprouve une vive honte et une haine d’elle-même dont rien ne peut la délivrer. Les gens de cour qui l’entourent la craignent et la méprisent.
Arrive alors cet étranger, ce Prince Mychkine (Renaud Lacelle-Bourdon), dont la candeur, la franchise et la compassion bouleversent tous les codes sociaux. Il est si franc et si dénué de malice qu’on le dit idiot. Le prince, plutôt que d’éprouver du mépris pour cette femme qui a perdu sa virginité — bien malgré elle —, perçoit sa blessure, ressent de la pitié et souhaite la sauver d’un destin qu’il pressent funeste. En effet, Nastassia (Évelyne Brochu), cherchant à se perdre, à se punir perpétuellement, choisit de se marier avec Rogojine (Francis Ducharme), un homme aussi passionné que dangereux.
Je regardais la pièce et je me disais: heureusement que les choses ont changé… ou sont en train de changer! La victime d’une agression sexuelle ne devrait jamais éprouver de honte et porter les stigmates de cette épreuve pour le reste de ses jours. J’ose espérer que les dénonciations et tout le phénomène #moiaussi sont en train de véritablement mettre fin à ce non-sens. Que les bourreaux aient honte. Que les abuseurs subissent les conséquences. Que les victimes, elles, soient regardées avec le même regard bienveillant que celui du Prince Mychkine pour Nastassia Filippovna.
Puis, la pièce m’amenait à réfléchir à l’éternelle lutte entre le Bien et le Mal. La figure du Prince Mychkine, avec sa bonté sans borne est fortement inspirée par celle du Christ. On voudrait qu’il cesse de tendre l’autre joue, de tout accepter, d’absoudre les travers de tous. Sa pure bonté est à la fois réconfortante et douloureuse. Le prince passe pour un idiot, car il refuse tout calcul, tout compromis avec sa conscience. On ne peut s’empêcher de se demander: la bonté parfaite peut-elle exister dans un monde imparfait? Que peut l’amour pur contre des passions extrêmement sombres? Contre la jalousie maladive, la possession, l’avarice et la haine? La fin de l’histoire est tragique et je me disais qu’il est bien plus facile de détruire que de construire, que l’angélisme n’est pas la réponse à tout et que parfois, il est en effet idiot de ne pas savoir s’adapter aux situations, par idéalisme.
Un divertissement instructif
J’aime profondément aller au théâtre et me faire raconter des histoires. Au plaisir du divertissement s’ajoute bien souvent une dimension éducative. Je n’avais jamais lu ce classique de la littérature russe et j’ai été heureuse de faire ainsi la connaissance de ce Prince Mychkine qu’on appelle l’idiot, de la belle Nastassia Filippovna et du ténébreux Rogojine. L’adaptation montée ces jours-ci par le TNM nous donne l’occasion de plonger aisément dans cette œuvre autrement beaucoup plus complexe et touffue de Dostoïevski. Étienne Lepage et Catherine Vidal ont choisi ici de ne conserver que l’essentiel de la trame narrative pour faire ressortir les grands thèmes qui touchent à l’universel. Le théâtre, comme la littérature, nous amène bien souvent à réfléchir et à voyager — vers d’autres sociétés, d’autres époques ou au cœur de l’âme humaine. Mais en plus, souvent, il étonne par la créativité de sa mise en scène, il réjouit l’œil par la beauté de ses costumes et de ses décors. Pour moi, aller au théâtre, c’est une expérience totale… que je vous recommande! D’ailleurs, des supplémentaires ont été ajoutées les 17 et 18 avril alors si vous n’avez pas vos billets, voilà votre chance.
Yves Renaud Photographe