Depuis quelques temps, je détestais me rendre chez la psy. Je croisais les doigts pour que celle-ci ne me répète pas le même commentaire qu’à la dernière rencontre « tu as l’air fatiguée »… La première fois, je me suis demandé si elle pouvait faire la différence entre le personnage médiatique souriant et la simple patiente que j’étais. Pourtant, elle n’a aucun intérêt dans le showbizz et surtout, aucun temps à y allouer. Entre sa famille, sa pratique et le doctorat en neuropsychologie qu’elle termine, son horaire est plus chargé que le mien.
Même si son commentaire sur mon visage pâle s’accompagnait d’un regard empreint de compassion, j’étais froissée de l’entendre aussi souvent. Un jour, elle m’annonça qu’elle soupçonnait qu’un trouble d’apprentissage soit à la source de cet épuisement.
Je pris alors un rendez-vous dans une clinique de neuropsychologie pour entreprendre une évaluation qui allait identifier mes forces et mes faiblesses cognitives. Quelques mois plus tard, je reçu le résultat de mes tests sur Zoom, assise en indien sur le tapis de mon salon, alors que nous étions en plein confinement.
Le bilan que me défilait la neuropsy était surprenant. Bonne première nouvelle, sur certains aspects, je suis intellectuellement douée! Douée? Pour vrai? Moi qui me suis trop souvent qualifiée de conne, même par autodérision, je ne suis donc finalement… pas si conne! Mon QI concernant la communication est brillant. Mais comme les fleurs arrivent souvent avec le pot, j’ai appris à 49 ans que je suis aussi dyspraxique ET dyslexique. Tout un cocktail! Je suis ce que l’on appelle dans le jargon psychoéducatif, une twice. Cela veut dire que je suis doublement (ou triplement) différente.
Dyslexie
« Dyslexique, pour vrai? Comme ceux qui mélangent les lettres? Pourtant, c’est ce que j’aime le plus au MONDE, lire et écrire!!! » Tous les jours pour mon travail, j’emmagasine de l’information en lisant au maximum pour la radio, puis je rédige des textes pour mon magazine. Pour les affaires, je ne fais que ça, recevoir, analyser et répondre à des courriels. Je me nourris de mots, c’est pour moi un service essentiel. Ce diagnostic a résonné en moi. Pensant à mes choix de vie et à mes plans futurs, des larmes ont commencé à couler sur mon visage: comment allais-je faire pour écrire tous les livres que j’ai en tête? Ai-je choisi la bonne voie? La bonne évolution de carrière?
Dyspraxie
L’autre mot dont j’ai dû saisir la définition est dyspraxie. Ceux qui ont toujours eu de la misère à jouer au handball dans la cour d’école comprendront rapidement. Pour les autres, la voici: trouble de la planification et de la coordination des mouvements nécessaires à l’exécution d’une action volontaire, qui peut aussi toucher l’accès visuospatial et le sens de l’organisation. Cette sensation d’être un peu Mr Magoo ou Gaston Lagaffe sur les bords a donc un nom! Bien loin d’être une blague, elle peut donner un sentiment de maladresse en relation sociale, de l’insécurité devant la nouveauté, mais surtout, elle affecte le rendement scolaire chez un jeune et les tâches exécutives au travail chez l’adulte. J’ai toujours pensé que c’était mon oeil gauche paresseux (je souffre d’amblyopie) qui me faisait manquer de visu dans les sports et sauter des mots dans mes lectures. J’ai maintenant une toute nouvelle explication!
Lorsque je suis retournée dans le bureau de ma psy, ses yeux couleur compassion avaient changés. Son regard était brillant et satisfait.
«C’était normal d’être si fatiguée. Ton cerveau a toujours travaillé trois fois plus fort pour lire ou écrire un texte. Ta douance et ton expérience te servaient de béquille, mais après toutes ces années, c’était en train de te rattraper. Comprendre ton cerveau va aider à améliorer ton estime. Nous allons adapter tes comportements pour éviter l’épuisement.»
Elle m’expliqua que c’était comme si j’avais des ailes immenses qui me permettaient de voler très haut avec des problèmes de vue qui me fatiguaient et qui risquaient de causer des collisions. Tout un paradoxe!» Il fallait que l’un aide l’autre. Je devais nourrir et cultiver ma douance au maximum, mais en même temps comprendre et palier à mes troubles d’apprentissage.
Aux grands maux les grands moyens. Nous avons commencé par éliminer le superflu de lecture à vue pour stopper la surchauffe de mon cerveau. J’ai appris qu’il y a trois façons de lire: avec les yeux (livres), avec les doigts (le braille) et avec les oreilles (l’audio). Quand on y pense, l’information est la même, mais la plate-forme est différente. J’aimais déjà les balados, j’ai adopté les livres audio. Le plus difficile fut de dire bye bye à mes livres de chevet au coucher. J’avoue que je n’y arrive pas encore tout à fait, mais on dit que la fatigue de lecture chez les dyslexiques est cumulative, alors je tente du mieux que je peux de faire la transition. J’ai aussi ajouté sur mon cellulaire la fonction voice over pour qu’en un clic, je puisse entendre la voix de Siri me lire un long courriel ou un article au besoin. À mon ordinateur, j’ai ajouté les logiciels Antidote (qui réduit le temps de correction) ainsi que Word Q qui, en cas de besoin, me dicte instantanément ce que je tape sur mon clavier.
Plus tard, avec l’aide d’une ergothérapeute, j’ai réorganisé mon horaire de travail. Je rédige aujourd’hui toujours autant d’articles, mais je le fais à la première heure le matin quand ma concentration est à son pic (il est 5h47 alors que j’écris ces lignes). Si vous m’écrivez un courriel, vous devrez attendre vers 10h pour que j’y réponde, mais je fais souvent le grand ménage des pourriels et questions non urgentes après mon émission de radio du retour à la maison, car je me garde de l’espace pour faire la recherche et animer mon show. Ainsi, mes mots ne jouent pas à cache-cache tout au fond de mon champ lexical et se pointent à temps lorsque j’ai besoin d’eux. J’avoue aussi que dans mon cas, la médication a fait une belle et grande différence.
Je ne vous raconte pas tout ça pour recevoir de la validation, mais pour donner un exemple des découvertes que l’on peut faire sur soi plus tard dans sa vie et celles que l’on peut faire pour nos enfants et qui amélioreront la qualité de leur apprentissage, mais tellement plus! Le sentiment d’être différent, décalé des autres peut vraiment isoler. Cette isolation se répercute autant sur les bancs d’école que dans une réunion au travail ou une discussion animée dans un souper entre amis, alors que des mots disparaissent soudainement ou se bousculent à la sortie. Il s’exprime aussi dans un souci extrême des détails dans notre travail, de peur d’en avoir manqué un bout. Tout cela mine la confiance et peut influencer le choix de profession, de conjoint, etc. Certaines actions et pensées destructrices peuvent prendre racine dans un trouble d’apprentissage non identifié: le manque d’assurance, l’anxiété et même les troubles alimentaire.
J’ai été surprise de voir à quel point il y avait outils technologiques et des solutions concrètes à ces troubles dont les répercussions semblent si vastes. Si j’avais entrepris ces démarches avant, je sais que la première partie de ma vie aurait été différente à certains niveaux. Heureusement, La deuxième moitié risque d’être plus agréable. Le sentiment qui m’anime en est un de soulagement. L’auteur français Daniel Pennac* confirme la douleur d’un trouble d’apprentissage dans son merveilleux récit autobiographique Chagrin d’école.
«Si on guérit parfois de la cancrerie, on ne guérit jamais des blessures qu’elle nous infligea.»
Je préfère terminer en écrivant que me souviendrai de toutes ces blessures, mais j’affirme que la guérison est réelle. Que pour être irremplaçable, il faut accepter d’être différent, mais pas à son détriment.
Dans le fond, tout ça, c’est pas si con 🙂
Si mon témoignage touche une corde sensible, il me ferait plaisir de vous lire ci-bas. Voici aussi quelques ressources.
Lecture:
- Mieux comprendre la douance
- The dyslexia empowerment plan Ben Foss
- 100 idées pour venir en aide aux enfants dyslexiques
- Mon cerveau a encore besoin de lunettes