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La revanche des moches

Quand Léa Clermont-Dion m’a demandé il y a deux ans de participer à son livre La revanche des moches, sur l’industrie de la beauté et de la minceur qui tourmente la femme depuis le début des temps, je ne me sentais pas prête à cette époque à « ouvrir mes livres », régler mes comptes avec MON image. Celle que j’ai offerte au public, et celle de la fille de 5 pieds 3 pouces qui rêvait de s’allonger sur un bon 5’10. Pourtant, le syndrome de la Barbie, je l’ai depuis mon plus jeune âge, alors que Marco, dans l’autobus scolaire de l’école primaire, fit la démonstration que je ressemblais à une Barbie écrasée (en pinçant le visage de la poupée entre ses petits doigts). C’était moi. Une vision distortionnée qui me resterait pour toujours.

Adolescente, un ventre rond fit son apparition au beau milieu de mon corps. Ma taille était bien plus large que celle des filles que je croisais dans les corridors de la polyvalente, avec leurs jeans trop serrés. Je reconnaissais l’intrus: c’était le même que ma mère. Celui dont elle ne pu se débarrasser après ma naissance. Celui qui la suit encore avec son joli « frame de chat » de 105 livres. Celui qui me suivra aussi, comme un boulet, toute ma vie. Celui qui fera qu’il y aura encore et toujours un con pour me demander si je suis enceinte dans une file d’attente.

Je décide enfin de mon métier: je serai chanteuse. Je fais un vidéo. Je lis les premiers articles à mon sujet. Ils ont tous un dénominateur commun: les adjectifs « pulpeuse », « voluptueuse » ou « ronde ». C’est écrit noir sur blanc. J’ai 17 ans. Je pèse 116 livres. Cent seize livres! Je ne dois pas bien «passer » à la télé. Ça doit être les angles de mon corps. Tout en moi est rond. Mon visage, mes seins, mes épaules, ma taille… Il y a juste mes jambes qui font l’affaire, si je ne compte pas les deux petites boules à l’intérieur de mes cuisses. Il n’y a qu’une seule solution. Je devrai maigrir coûte que coûte. M’a t’arranger ça, ce ne sera pas long.

Régime après régime, année après année, jusqu’à m’évanouir la veille d’une performance à Ad Lib, déshydratée sur le plancher froid de ma salle de bain, rien n’y fait. Faudra passer au bistouri. Après, je serai sûrement heureuse, car je ne serai plus pulpeuse. La pulpe est restée, la liposuccion n’a pas amélioré grand-chose. En fait, ma taille est quasi restée la même, mon ventre aussi. Celui que tout le monde aime, mes sœurs, ma mère, mes chums, sauf moi.

J’ai perdu mon gras de bébé, que l’on me dit en pleine tévé. Je yoyote pendant des années. Les filles de Friends doivent bien avoir un secret? Je suis signée aux États, par Disney. J’habite LA, je prends des cours de chant, on me fournit aussi un entraîneur. Là, ça va marcher, c’est certain. De retour à Montréal, je commence à courir. Je sors avec un gars qui ne mange que du poulet bouilli, des pâtes sans sauce et des légumes vapeur, tout est sous contrôle!

Mon disque ne sort pas aux States et ma carrière en prend un bon coup. Solution? On m’offre de faire une vidéo d’exercices comme Cindy Crawford. Je veux mourir de honte, je ne suis ni une experte en conditionnement physique, ni à la hauteur de cette statuesque mannequin, mais je n’ai pas le choix. Faut faire vivre la gang. En rétrospective, j’avais un très beau corps ET c’était l’époque où manger des hydrates de carbone n’était pas encore un sacrilège, mais j’ignorais ces deux faits. J’aurais dû en profiter!

La période des protéines est arrivée peu de temps après. Juste après la période du low-fat. On a tout coupé. J’en ai mangé, des barres de protéines et des plats préparés de 800 calories. Pendant mon parcours dans le monde de la chanson, Madonna avait eu le temps de devenir une icône de minceur et de forme physique éternelle et Beyoncé est apparue avec ses courbes, mais à la bonne place, toutes proportionnées. Si seulement je pouvais être à la hauteur… Ou à la minceur…. Peut-être que l’on m’aimerait encore?

Pourquoi je vous raconte cela, au juste? Pas parce que je m’apprête à vous vendre la solution miracle, au contraire. Avec le temps, j’ai définitivement fait la paix avec mon corps dans la vraie vie (j’y reviendrai dans ce blogue certainement), mais professionnellement, il m’arrive encore d’appréhender l’arrivée d’un gala où je devrai porter une robe pas de manche, et sachez que je ne porterai jamais de lainages ou de tissus à motif à l’écran (qui majorent le 10 livres que la télé ajoute déjà).

J’écris en fait ce billet pour ajouter ma voix au discours sur l’obsession de la minceur et répondre tardivement à cette invitation que Léa m’a faite il y a deux ans, à participer à son œuvre en témoignant de la pression que l’on endure toutes et que j’ai enduré à ma manière, au nom de la beauté. Ce livre donne envie d’échanger (comme vous pouvez le constater ici). Si 52 % des filles commencent un régime avant l’âge de 14 ans, si 62% des québécoises ressentent de la pression pour perdre du poids, le temps est venu de diriger le micro, la caméra ou l’écran d’ordi, sur un mouvement libérateur, celui du partage.

Lea-Clermont-Dion

La revanche des moches est l’histoire d’une quête, celle de Léa, 22 ans, conférencière, chroniqueuse, blogueuse et réalisatrice, co-instigatrice de la première charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée. Féministe d’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a œuvré au Conseil du statut de la femme, au Secrétariat à la condition féminine et pour Oxfam-Quebec au Burkina Faso. Ce livre recueille les témoignages de David Le Breton, Ariane Moffat, Pierre Lapointe, Dave St-Pierre, Geneviève Guérard, Pol Pelletier, Denis Gagnon, Lise Ravary, Geneviève St-Germain et Bianca Gervais. www.edvlb.com

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