Tout a commencé il y a 7 semaines, quand une gentille dame de l’hôpital Santa Cabrini m’a appelée pour me dire que mon opération aurait lieu le 6 juillet. Un peu plus tôt, le 30 mars, le verdict était tombé. Je m’en souviens très bien puisque j’étais dans les derniers préparatifs de la première d’un chanteur populaire le soir même.
Le médecin m’avait rassurée, mais elle était tout de même insistante. Je n’avais rien de grave, mais si je restais ainsi, il se pouvait que des complications surviennent et me rendent très très malade (je pouvais même mourir, ah ben coudonc!). Elle m’a mise sur sa liste d’urgences intermédiaires alors je devais donc être prête quand ils allaient m’appeler. Plus je voyais l’été arriver avec tous les projets à l’agence, moins je tripais. Je suis relationniste et dans mon milieu, la saison chaude est très importante. On doit redoubler d’ardeur pour promouvoir nos artistes en tournée, à des festivals et dans des productions diverses. Et en plus, qui tripe vraiment dans l’attente hein?
Ce jour arriva. C’était la veille de la fête du Canada. C’était cool et pas en même temps. Enfin, je pouvais souffler et me dire: bon, ça y est, je vais me faire opérer pis retrouver ma vie après, pis en même temps, je pensais «OMG! J’AI 3 JOURS POUR PRÉPARER UN ÉTÉ!» J’ai dû partir et laisser mes collègues avec mon lot de travail, comme si elles n’en avaient pas déjà assez. Il me fallait être égoïste et j’ai fini par me dire que si je m’étais fait frapper par un char, le résultat aurait été le même.
J’avoue que j’ai eu peur de la chirurgie. L’anesthésie générale n’a jamais été ma tasse de thé. J’ai toujours en tête la madame de Cinar qui est décédée sur la table d’opération. Ma mère, qui est une ancienne infirmière, m’a vite rassurée: on ne meurt plus d’anesthésie lors des opérations. Sauf dans Grey’s Anatomy, car eux autres, ils parlent trop de leurs problèmes pendant qu’ils opèrent. Ils ne sont pas concentrés, c’est tout!
Le week-end avant j’ai fait tout ce qui me rendait heureuse afin d’atténuer ma peur. J’ai donc englouti un pot de crème glacée au complet et j’ai loadé ma carte de crédit en achetant un paquet de choses inutiles mais ô combien satisfaisantes. Le jour de l’opération, j’étais prête. J’avais écrit une lettre à ma sœur avec tous mes mots de passe et quelques directives advenant le cas où ça se passerait moins bien. J’étais calme, mais surtout d’excellente humeur. Ma sœur m’a accompagnée et ce fut une vraie partie de plaisir (oui, oui). On a vraiment ri. Ma sœur lisait le protocole et cochait toutes les activités que je faisais. Test d’urine (check). Pesée (check). Prise de sang (check). Et ainsi de suite. Ils sont venus me chercher en civière et là, j’avoue sincèrement que j’ai eu un petit motton dans la gorge. J’ai essayé de passer cela en jasant avec la préposée aux bénéficiaires qui poussait mon lit. Je me suis intéressée à elle, à son travail. Rendue à la salle d’attente de la salle d’opération, j’ai écouté les conversations. Tout le monde avait l’air d’avoir du fun, on sentait que l’esprit d’équipe était fort. Ils discutaient de ce qu’ils pensaient faire le week-end suivant. C’était aussi l’anniversaire d’une infirmière, quelqu’un lui avait fait un gâteau. Un médecin lui a fait une blague. Tout le monde a ri, elle aussi. Je me sentais privilégiée d’être le témoin de la vie quotidienne d’un groupe de personnes qui ont entre les mains la vie d’êtres humains au quotidien. Il y avait quelque chose d’hyper rassurant dans ce moment. L’anesthésiste est venue me voir et elle a pris le temps de jaser de lunettes avec moi (je trouvais les siennes ben belles). Ensuite, ma merveilleuse docteure est venue me retrouver. L’opération allait être plus complexe et elle m’a demandé si elle pouvait enlever mon ovaire et ma trompe finalement… Tant qu’à être là, j’ai dit oui.
C’est encore avec bonne humeur que je suis entrée dans la salle d’opération. J’ai demandé le nom de tout le monde en m’intéressant à chacun: «toi, tu fais quoi dans le projet?» Ce qui les a tous fait bien rire.
J’me suis aperçue que pour moi, l’humour a quelque chose d’apaisant. Ma peur pouvait bien aller se rhabiller.
Je me suis finalement réveillée. J’ai eu l’impression de cligner des yeux, mais dans la vraie vie, la vôtre, 2h30 s’étaient écoulées. Niveau de douleur: 5, on m’a ajouté un peu de morphine. Après, j’ai arrêté de respirer. Une petite crise d’anxiété a pris le dessus. J’pouvais bien prendre tout cela à la légère, mais je réalisais que je n’étais pas invincible et que tous les pots de crèmes glacées du monde ne pouvaient pas atténuer le stress que mon corps venait de vivre. Cela a duré 15 minutes. L’infirmière m’a parlé doucement et m’a dit que tout allait bien, que tout était fini. Je serai toujours très impressionnée par le travail des infirmiers et infirmières. Ce sont des personnes incroyables qui côtoient tous les jours la vulnérabilité humaine à son plus bas.
Je suis sortie assez rapidement de l’hôpital. Après avoir mangé et uriné mes 700 millilitres règlementaires, j’étais prête à partir et je pouvais enfin passer à autre chose. YÉ! Pour ma convalescence, ma sœur a loué un chalet une semaine et mes parents sont venus prendre soin de moi. Ce que j’ai dû apprendre pendant cet épisode, c’est que madame Savard devait accepter qu’on prenne soin d’elle. Difficile tâche!
Après quelques jours, je suis retournée chez moi. Je me sentais capable de m’occuper de moi-même, ce que je fis, avec multiples essais-erreurs. Entre autres, l’infirmière m’avait dit que c’était TRÈS IMPORTANT de marcher tous les jours pour éviter l’embolie. Le problème c’est qu’elle n’avait pas dit combien de distance ou de temps. Intense personne que je suis, j’ai pensé un beau matin que d’aller faire des courses au centre commercial à 4 ou 5 km de chez moi serait un super bon exercice… Je me suis rendue, oui, mais j’ai aussi vomi ma vie dans la première poubelle que j’ai vu en entrant dans le centre commercial!
J’ai par la suite pris cela plus mollo. J’ai écouté toutes les séries que Netflix et Illico pouvaient m’offrir. Je n’ai pas saigné des yeux, mais pas loin. Un moment donné, je me sentis mieux. Pas top shape, mais juste assez pour recommencer à voir du monde. J’y suis allée tranquillement. Je me bookais des lunchs et des cafés en après-midi, heureuse de voir mes amis.
J’avais eu un congé maladie de 3 semaines et mes vacances étaient prévues juste après. Tout tombait pour que je prenne, pour la première fois de ma vie, un très long congé. Les vacances, je ne suis pas super bonne là-dedans. J’ai l’impression de mettre un peu ma vie sur pause. Oui, je sais que c’est ça le principe, mais ce bout-là, je le trouve un peu plate. J’imagine faire quelque chose d’exceptionnel, mais au bout du compte quand vient mon 2 semaines annuel je suis trop fatiguée pour faire quoi que ce soit. Mais là, je venais d’avoir plusieurs jours de repos forcés, donc j’étais super en forme… alors qu’allais-je faire de toutes ses semaines qu’il me restait?
J’ai laissé place à l’improvisation et j’ai dit oui à tout. Je me suis promenée à travers le Québec comme je l’ai rarement fait. Je passais deux ou trois jours à Montréal et ensuite HOP! J’allais dans un chalet, chez des amis, dans ma famille… J’ai même développé une véritable passion pour le kayak de mer et le paddle board!
Pour la première fois de ma vie, même s’il n’a pas fait si beau, je me suis acheté de la crème solaire et je l’ai terminée le même été. J’ai revêtu mon maillot de bain que je mettais avec les 4 robes molles que j’alternais. Je ne me suis presque pas maquillée, en fait juste 4 fois. J’ai mangé du melon d’eau TOUS les jours et j’ai non seulement regardé ma vie passer, mais je l’ai vécue aussi. J’ai mangé honteusement beaucoup plus que mon quota annuel de fast food, mais je me suis aussi mise à courir tous les jours, chose que je déteste au plus haut point, mais tu ne peux pas passer ta vie la face dans la poutine sans faire quelques sacrifices non?
Il y a quelques jours, je me suis réveillée avec le sourire, j’me suis aperçue qu’il n’y avait pas eu une seule journée depuis le 6 juillet où mon sourire n’avait pas été au rendez-vous. Il n’y a pas eu une seule journée où j’ai eu le cafard ou été de mauvaise humeur… Non, depuis le 6 juillet, j’étais totalement en phase avec moi-même et surtout, complètement heureuse de ma vie et de mon sort. Et que je me sois remise aussi vite sur pied était en quelque sorte une question d’attitude face à la vie. La mienne, je l’aime et je suis contente de la vivre.
Maintenant, je dois retourner au boulot parce qu’on ne peut pas passer sa vie à l’improviser. Mais je me trouve chanceuse d’avoir été forcée de m’arrêter un peu, car honnêtement, je n’aurais jamais été capable de le faire autrement. Je sors de cet été grandie, neuve, forte et ressourcée. Ma tête et mon corps ont renoué et je me sens prête à relever les prochains défis que la vie m’enverra. Je retourne dans mon quotidien avec des souvenirs plein la tête de ce qui fut sans aucun doute le plus bel été de ma vie.