Dès les premières notes, j’étais conquise. S’est ensuivie chez moi une kyrielle d’émotions, parfois à l’encontre l’une de l’autre et ce, tout au long de ce spectacle que je place, sans hésitation aucune, au premier rang des meilleurs que j’ai vus de ma vie de jeune quarantenaire.
Né à Sherbrooke, Benoît Pinette vit à Québec depuis bientôt vingt ans.
À la fois mélancoliques et chargés en émotions, les textes de cet artiste autodidacte, livrés dans un style folk américain, sont déconcertants par leur beauté.
«C’est comme de l’eau d’érable», s’est exclamé mon père, ébranlé, lorsque je lui ai fait écouter Tire le coyote pour la première fois.
«Je le vois mieux ce fameux ciel de vitamines
Depuis que tu m’as tapissé d’une mappemonde
Pour pouvoir guider mes ardeurs vagabondes
Et le métier rentre mon C.V. est à jour
Me laisseras-tu postuler pour l’amour»
(Tes bras comme une muraille, album Désherbage)
Et quelle voix.
Une voix singulière.
Presque céleste.
Un mélange subtil de Neil Young, de Radiohead, de Richard Desjardins et de cette touche unique, issue des cordes vocales et de l’âme de Tire le coyote, qui, avec Désherbage, en est à son quatrième album.
Lors de son passage à Tout le monde en parle, Guy A. Lepage a dit, à celui qu’il a baptisé «le King de la métaphore»:
«Je vais t’avouer sincèrement que la dernière fois que j’ai eu une réaction comme ça en écoutant un disque, ça a été Tu m’aimes-tu de Richard Desjardins, pis ça fait 30 ans.»
Depuis, Tire le coyote, qui avait déjà un public fidèle et nombreux, voit sa carrière prendre une vive ascension. Les salles se remplissent à une vitesse fulgurante, entre autres de gens qui le découvrent pour la première fois.
C’est ce que j’ai pu constater, lorsque j’ai assisté, deux fois plutôt qu’une, à son spectacle (théâtre Hector-Charland à L’Assomption et Maison de la culture de Sainte-Anne-des-Monts).
Et même si l’émotion m’envahissait de sorte que j’avais souvent l’impression d’être seule dans la salle, je ne pouvais faire abstraction des émotions qui émanaient du reste du public.
Oui, les gens pleurent, quand ils vont voir Tire le coyote.
J’ai pleuré.
Tantôt de joie et d’extase.
Tantôt emportée par une espèce d’indéfinissable nostalgie.
Tantôt émue et déstabilisée par la force des mots de coyote.
Le ciel est backorder, qui a été écrite alors que son ami vivait de douloureux moments à l’hôpital, arrache des larmes à tout coup.
«Ton île comme un tatouage sur tes cellules engourdies
Enfonce tes paysages dans les entrailles de l’ennemi
Nous verrons ton coffrage retenir les fuites du paradis»
Et que dire de L’âge d’or vaut rien (album Mitan), dont les paroles sont incommensurablement dures.
«Je suis barré de partout
J’ai un cadenas dans le corps
La chaise berçante grouille plus que moi
Sous un ciel de charbon je courtise la mort
Mais la file d’attente est pas prête d’achever»
Percutantes.
«Je ne vous laisserai pas là-dessus; ce serait chien», dit Benoît, avec un humour qui teinte l’ensemble de son spectacle.
Ayant étudié en création littéraire, il a un amour sans bornes pour la poésie. On le sent certes dans ses textes — qui sont, en soi, de la pure poésie — mais il invite également des poètes de sa génération à prendre part à la tournée Désherbage, en venant faire une lecture de leurs textes sur scène.
D’ailleurs, une ex-collègue et amie, Noémie Pomerleau-Cloutier, artiste multidisciplinaire de grand talent et auteure de Brasser le varech (éditions La Peuplade) s’est sentie très privilégiée d’être la poète invitée au spectacle de Tire le coyote au National, la semaine dernière.
Tire le coyote, c’est un homme.
Mais il ne faut pas oublier ses quatre acolytes: Shampouing (guitare), Cédric Martel (basse), Jean-Philippe Simard (batterie) et Vincent Gagnon (piano et claviers).
Chaque musicien tapisse de ses couleurs ce beau projet, et une grande complicité entre eux se fait sentir sur scène. Et Benoît laisse à chacun la place qui lui revient; si bien qu’on a parfois l’impression d’assister au spectacle d’un band.
D’ailleurs, dans la chanson Confetti (album Le fleuve en huile), Shampouing nous fait cadeau d’un long solo de guitare à faire frissonner jusqu’à la moelle.
Hier, Tire le coyote s’est envolé pour l’Europe où il s’arrêtera en Belgique, en Suisse et en France. Lors de son passage au festival Pully Lavaux, en Suisse, il fera la première partie des Cowboys Fringants.
En septembre, nous pourrons le voir su scène lors de l’événement Mile Ex End Musique, à Montréal.
Entre-temps, il continuera à se promener à travers le Québec.
Invité en 2017 à l’émission Tandem, animée par Anne-Marie Withenshaw et Rebecca Makonnen, Benoît a su relever le défi d’adapter en français une chanson d’un(e) artiste américain(e) avec qui il n’avait aucun lien au niveau musical. Il a alors choisi la pièce Video Games de Lana Del Rey, qu’il a adaptée très librement, dans son style à lui.
Le résultat est à couper le souffle.
Plutôt que d’essayer d’en faire la traduction mot à mot, Tire le coyote est parti de ce qu’il comprenait de la chanson et y est allé de son propre texte.
Jeu vidéo.
C’est ma chanson préférée de l’album.
«Embarque dans mon vieux char
Couche-toi sur mes remords
L’ivresse est stollée sur ta peau
J’ouvrirai une bonne bouteille
On suivra le soleil
Comme dans Grand Theft auto»
Avec sa voix, ses mots et sa musique, Benoît Pinette donne envie d’aimer.
De partir à la chasse aux coyotes.
D’en capturer un.
Puis de le laisser repartir.
Après quelques chansons.
Il reviendra, de toute façon.